Les services de santé universitaire ne sont pas dimensionnés pour prendre en charge les étudiants dont l’état psychologique est en forte détérioration. Cette situation est révélatrice d’une absence de réponse à la hauteur des besoins, indépendamment de la crise sanitaire.
Les services de santé universitaire ne sont pas dimensionnés pour prendre en charge les étudiants dont l’état psychologique est en forte détérioration. Cette situation est révélatrice d’une absence de réponse à la hauteur des besoins, indépendamment de la crise sanitaire.
Lorsque l’écrivain et professeur américain Rick Moody s’apprête à enseigner à distance, au printemps dernier, il dit penser d’abord à ses étudiants : « Dans la panique, coincés chez eux, restreints dans leur autonomie, probablement voués à partir sans cérémonie de diplôme, enfermés dans une vidéo de la taille d’un timbre-poste plusieurs heures par jour […]. Je les ai salués d’un coup de coude pour la dernière fois, écrit-il. Et puis, ils n’étaient plus là… » 1
Si les plus chanceux, depuis la mise en place du deuxième confinement, peuvent encore se déplacer dans leur établissement pour les enseignements pratiques, ils sont pour beaucoup assignés à résidence chez leurs parents, isolés dans leur logement ou en chambre universitaire.
Quiconque a vécu à leur côté a pu observer leur rituel de travail : lever au dernier moment pour suivre des cours interminables sur une plateforme numérique, vision en timbre-poste effectivement, parfois assis à leur bureau, parfois calés au fond du lit, en mal de concentration au fil de la journée et moral en berne en soirée. « Nous voulons éviter une troisième vague qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et les moins jeunes », affirmait à l’automne Olivier Véran, ministre de la Santé, en visite sur une plateforme d’écoute. Et… donc ?
Stress, anxiété, dépression : une détresse vécue en silence
C’est que le moral en berne n’est pas la manifestation la plus inquiétante de l’état de santé des jeunes. Stress, anxiété, dépression… les alertes viennent de toutes parts : des parents, des professionnels de santé, des professeurs, des présidents d’université, des syndicats étudiants, du réseau associatif. Faute d’évaluation systématisée de la santé mentale des étudiants, on pourra, comme le font deux universitaires sur The Conversation 2, pointer la difficulté à mesurer précisément le phénomène ou s’interroger sur la définition de la « santé mentale ».
Mais toutes les études publiées ces derniers mois convergent pour mettre en évidence une détérioration du « moral » des jeunes, nourrie en particulier par le sentiment d’isolement et la précarité.
Celle de l’Observatoire de la vie étudiante a ainsi établi à 31 % la prévalence de la détresse psychologique des étudiants confinés, contre 21 % dans une étude menée en 2016. Réalisée auprès de plus de 69 000 étudiants inscrits dans 70 universités françaises, celle du Centre national de ressources et de résilience (Cnrr) alerte dès le premier confinement : 27,5 % des étudiants déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère et 11,4 % disent avoir des idées suicidaires.
Une détresse vécue le plus souvent en silence, dans un contexte global, en outre, de non-recours aux soins, même si un dispositif de prise en charge des étudiants est présent sur les campus. Celui-ci repose essentiellement sur les 57 services de santé universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps), auxquels il faut ajouter des structures œuvrant dans l’environnement des universités : centres médico-psychologiques, services des Crous, bureaux d’aide psychologique universitaire.
Mais ces services ne semblent aujourd’hui pas en capacité de remplir leur mission, en dépit des efforts déployés par leur personnel : « Ils ne sont pas dimensionnés pour faire face aux besoins des étudiants, particulièrement en matière de santé mentale. L’ensemble des associations représentatives des étudiants font ainsi état d’une raréfaction des créneaux de consultation disponibles », montre, à la mi-décembre 2020, le rapport de la commission d’enquête parlementaire « pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse ».
Il serait pourtant faux de dire que rien n’est fait par la puissance publique, avec notamment un doublement des capacités d’accompagnement psychologique dans les services de santé, ou le déploiement de 1 600 référents étudiants dans les cités universitaires. C’est certes utile et bienvenu, mais largement insuffisant.
Un seul psychologue pour presque 30 000 étudiants
Les services de santé universitaires étaient, en effet, déjà surmenés avant la pandémie : « Notre pays accuse un retard considérable en matière de santé mentale étudiante », dénonce ainsi, dans une tribune 3, un collectif de présidents et vice-présidents d’université, de médecins directeurs des services de santé et d’élus étudiants.
Parmi les signataires de cette tribune, Nightline France, un service d’écoute nocturne assuré par des étudiants eux-mêmes, a enregistré une augmentation du nombre d’appels de l’ordre de 40 % depuis la rentrée universitaire. Dans une note « En parler, mais à qui ? », l’association tente de mesurer ce retard français en s’appuyant sur des données collectées dans huit pays européens mais aussi au Canada, en Australie ou aux États-Unis.
Et met en évidence des ressources humaines sans rapport avec la population étudiante, déconnectées de la réalité des besoins : l’équivalent temps plein travaillé (Etpt) de psychologues est ainsi jusqu’à 18 fois moins élevé que dans les autres pays recensés. Il s’établit à un psychologue pour 29 880 étudiants, contre 1 500 aux États-Unis ou 7 300 en Autriche, très loin des recommandations internationales fixées à 1 Etpt de psychologue universitaire pour 1 500 étudiants.
Comment, « lorsqu’on est seul face à tant, envisager de soutenir une population en détresse ? » s’interroge le collectif, en faisant explicitement référence aux résultats de l’étude I-Share, seule étude longitudinale d’envergure en France (20 000 étudiants) : en 2019 déjà, 22 % d’entre eux disaient avoir eu des idées suicidaires, indépendamment donc de la crise sanitaire.
Des moyens matériels et humains à tous les niveaux
« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Et après ? Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Ou, « si la situation sanitaire le permet », d’autoriser une reprise des cours « en présentiel » en ce début d’année 2021 pour répondre à la situation d’étudiants en grande vulnérabilité, après la concertation initiée par la ministre de l’Enseignement supérieur.
« La crise de la santé mentale étudiante précède le Covid-19, elle ne s’éteindra pas avec lui », préviennent avec gravité les auteurs de la tribune. En amont, il faudra sérieusement s’attaquer à l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante, puissants carburants de leurs multiples fragilités, matérielles, sociales ou psychologiques, comme le montrent notamment, année après année, les enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante (voir ci-contre).
Il faudra aussi, dans l’immédiat et à plus long terme, remettre des moyens financiers, humains et matériels à tous les niveaux et à la hauteur des besoins : pour recruter des professionnels de santé universitaires, notamment des psychologues, sur des postes stables ; pour revaloriser les métiers et les carrières de manière à les rendre plus attractifs ; pour s’appuyer sur des équipes administratives suffisamment dotées ; pour accueillir et soutenir les jeunes dans des locaux adaptés et mieux les informer sur leurs droits…
C’est en consentant cet effort que l’État pourra assurer l’une des missions de l’enseignement supérieur, inscrite dans la loi de 2013 : l’amélioration des conditions de vie étudiante, qui ne peut faire l’impasse sur une prise en charge sérieuse de la santé mentale des jeunes.
Christine LABBE
1. Rick Moody, « Comment enseigner à distance ? », revue America n° 14, automne 2020.
2. Yannick Morvan, Ariel Frajerman, « Pourquoi la souffrance psychologique des étudiants est difficile à appréhender », Theconversation.com, 11 décembre 2020.
3. « La crise de la santé mentale étudiante précède le Covid-19 », Le Monde, 16 novembre 2020.
« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Il faudra sérieusement s’attaquer à l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante.
Au croisement des inégalités
En termes de fragilités psychologiques, les femmes, les étudiants étrangers et boursiers ont été les plus touchés pendant le premier confinement.
Soyons d’abord optimistes : si une part non négligeable des jeunes va mal, la grande majorité se dit heureuse, parfois ou souvent, voire calme et détendue (82 %). C’est un des enseignements que l’on peut tirer de l’enquête sur la vie d’étudiant confiné réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante (Ove).
Elle repose sur l’analyse de 6 130 questionnaires auxquels ont répondu, entre le 26 juin et le 8 juillet, des étudiants inscrits en 2020 à l’université, en grandes écoles, écoles d’ingénieurs, de commerce, d’art ou de culture, déjà contactés pour l’enquête « Conditions de vie ». Trois grands chapitres la structurent : la santé pendant la pandémie, la situation financière et la continuité pédagogique.
À y regarder de plus près, pourtant, les états mentaux déclarés à l’issue du premier confi2ment sont très inégaux au moins pour trois populations : les femmes, les étudiants boursiers et les étudiants étrangers. Plus nerveuses, plus tristes ou abattues, les étudiantes se sont aussi senties davantage épuisées que les étudiants. Pour autant, elles n’étaient pas – jamais ou rarement – à ce point découragées que « rien ne pouvait [leur] remonter le moral » : 70,9 % étaient dans ce cas, contre 60,1 % des hommes.
Cette proportion tombe à 47 % pour les étudiants étrangers qui déclarent aussi, pour presque la moitié d’entre eux (contre 21 % des étudiants français) une alimentation beaucoup moins satisfaisante. Presque un étudiant étranger sur trois n’est jamais ou rarement heureux (contre 18 % des Français). Ce n’est pas le cas des étudiants boursiers dont l’état psychologique s’est tout de même détérioré par rapport à celui des non-boursiers dans tous les items retenus pour l’enquête : la nervosité, la tristesse, l’épuisement ou le découragement.
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