Face à l’accélération du démantèlement de l’Office national des forêts, syndicats et associations alertent sur un affaiblissement de la protection des forêts publiques.
Face à l’accélération du démantèlement de l’Office national des forêts, syndicats et associations alertent sur un affaiblissement de la protection des forêts publiques.
Lorsque le monde semble s’écrouler, c’est à proximité des chênes verts et des pacaniers que se ressource l’inspecteur Robicheaux, le personnage crée par l’écrivain américain James Lee Burke. C’est que le pouvoir des arbres sur la santé psychique et physique est aujourd’hui documenté scientifiquement (1).
En assurant une triple mission de production de bois, de préservation de l’environnement et d’accueil du public, les gardes forestiers de l’Office national des forêts (Onf) en ont quotidiennement et pleinement conscience. La forêt ? Un bien commun, ainsi décrit par Loukas Bénard, garde forestier en Haute-Marne et secrétaire national de la Cgt-Forêt : « Premier réservoir de biodiversité, elle capture le carbone, assainit les eaux, nettoie les sols, protège des risques naturels, assure un lieu de promenade et de bien-être aux populations » avec 700 millions de visites par an. C’est aussi une filière économique : environ 400 000 emplois en dépendent.
Des arbres fragilisés par le manque d’eau
Mais ce bien commun est aujourd’hui doublement menacé. La première menace, visible, est attribuable au dérèglement climatique, qui voit nombre de peuplements dépérir par manque d’eau. C’est particulièrement frappant dans le nord-est de la France, où une invasion de scolytes, de petits coléoptères xylophages, est en train de décimer les épicéas.
La seconde menace, tout aussi destructrice pour les forêts publiques françaises, communales ou domaniales, est due au démantèlement progressif de l’Onf, lui-même fragilisé par son modèle économique, assis sur des recettes en forte baisse issues des récoltes du bois, tributaires des cours.
Les effectifs ont subi des coupes drastiques, divisés par deux en quarante ans ; pour la seule année 2019, un poste sur vingt a été supprimé. Petit à petit, les fonctionnaires sont remplacés par des salariés recrutés sous contrats de droit privé. « La conséquence de cette politique est un affaiblissement de la protection des forêts », dénoncent syndicats et associations dans une lettre ouverte aux députés.
« L’accent est mis sur la commercialisation »
Sur le terrain, les techniciens forestiers territoriaux vivent une perte de sens de leur métier, du fait notamment de surfaces forestières toujours plus grandes à gérer, passées de 1 000 à 2 000 hectares en vingt ans.
Mais pas seulement : « Avec la perte des effectifs, nous devons effectuer un nombre croissant de tâches administratives, au détriment de notre présence sur le terrain, témoigne Loukas Bénard. Il nous est de plus en plus compliqué de surveiller les exploitations. L’équilibre de nos missions est altéré : l’accent est mis sur la commercialisation du bois alors que nous devons être de plus en plus exigeants s’agissant de la protection du milieu et de la préservation des espèces. »
Dans ce contexte, la disparition progressive des fonctionnaires assermentés aggrave la situation : « Au quotidien, les agents forestiers sont soumis à de nombreuses pressions pour couper davantage de bois, fermer les yeux sur les dégâts causés par l’exploitation forestière, écrivent encore syndicats et associations. Le fait d’être assermenté permet de résister à ces pressions et donc de protéger au mieux la forêt et l’intérêt général. » Ce n’est donc pas la défense du « statut pour le statut » qui est en jeu, mais l’indépendance des fonctionnaires, explique notamment l’Union fédérale des syndicats de l’État (Ufse-Cgt), « pilier d’un service public de qualité et égal pour tous ».
Contrats de droit privé et missions de police
Mais plutôt que de réfléchir sereinement à l’avenir des forêts françaises comme à celui de l’Onf, on préfère filialiser les ouvriers forestiers (activités de bûcheronnage, de plantation…), poursuivre le démantèlement de l’Office, entériner les dérives constatées depuis une quinzaine d’années et faire un pas supplémentaire vers la privatisation.
C’est en effet le sens de l’article 33 de la loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap) du 7 décembre 2020, qui autorise le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures modifiant les dispositions du code forestier relatif à l’Onf.
Parmi ces mesures : l’élargissement des possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé qui, certes assermentés, pourront exercer l’ensemble des missions relevant jusqu’alors des gardes forestiers de droit public, comme la constatation de certaines infractions pénales en matière forestière. Mais c’est bien le statut de fonctionnaire « qui donne aux agents la protection nécessaire pour mettre en œuvre le serment »,prévient l’association Canopée qui, au printemps dernier, a organisé une conférence en ligne sur les conséquences de la privatisation de l’Onf.
Un modèle productiviste basé sur des monocultures
Créé au milieu des années 1960, « l’Onf est à une période charnière de son histoire. Sans modification de son modèle économique et sans une conception nouvelle de la manière dont on conçoit la forêt, il y a un risque de disparition », prévient Loukas Bénard qui met en garde contre une dérive productiviste, à l’heure où le réchauffement climatique impose à la fois une réflexion sur l’existant et l’implantation de peuplements diversifiés et plus résistants.
En accordant 200 millions d’euros pour augmenter les surfaces boisées et régénérer celles qui souffrent de la sécheresse et des ravageurs, le plan de relance gouvernemental semble vouloir en prendre la mesure. Un leurre, pour la Cgt-Forêt : « Cette enveloppe n’apporte aucune solution à la question cruciale des effectifs. Elle est par ailleurs insuffisante au regard des enjeux et de l’ampleur de la tâche », résume son secrétaire national : selon un rapport de juillet 2020 (2) pour le ministère de l’Agriculture, il faudrait mettre en place un fonds doté de plus de 8 milliards d’euros sur trente ans pour pouvoir reconstituer les forêts sinistrées…
Christine Labbe
Stefano Mancuso et Alessandra Viola, L’Intelligence des plantes, Albin Michel, 2018.
En octobre 2018, dans la continuité d’actions déjà organisées pour alerter sur le devenir des forêts publiques, une grande marche citoyenne, partie de quatre itinéraires différents, a convergé vers la forêt domaniale de Tronçais, dans le département de l’Allier. Organisée à l’initiative de l’intersyndicale des personnels de l’Onf, elle a débouché sur la rédaction du manifeste dit « de Tronçais » rejetant la privatisation de l’Onf et jetant les bases d’une gestion durable de la forêt.
Depuis, les mobilisations se poursuivent, grâce notamment à un travail commun des syndicats (Snupfen-Solidaires, Cgt-Forêt) et d’associations (Canopée, Les Amis de la terre, Réseau pour les alternatives forestières…). Réunis dans le collectif Sos Forêt France, ils ont formulé seize propositions. À l’initiative de Canopée, une pétition pour refuser la privatisation de l’Onf est en ligne. Avec la pandémie de Covid-19, les mobilisations nationales ont dû céder la place à des actions ciblées dans les territoires comme, récemment, en Haute-Marne ou en Corse.
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