Le 9 mai 2019, les neuf syndicats de la fonction publique appellent les agents à manifester contre la profonde restructuration annoncée dans les services publics. Un projet aux intentions dévastatrices qui ne va pas épargner les cadres. Explication.
Le gouvernement parviendra-t-il à mettre à bas le statut de la fonction publique, et avec lui, le droit garanti d’un accès de tous à des services publics de qualité ? Dans le discours qu’il n’a pas tenu le 15 avril, Emmanuel Macron, dit-on, devait annoncer que, « sauf demande des maires », il ne souhaitait plus « aucune fermeture d’école et d’hôpital jusqu’à la fin du quinquennat ». À l’heure où nous bouclons, nul ne sait si telle était vraiment son intention. En attendant, son projet de loi de réforme de la fonction publique, lui, est prêt.
Après avoir été présenté le 13 février, le gouvernement espère pouvoir le faire adopter à la fin de juin à l’Assemblée. Sauf que, cette fois, le timing pourrait ne pas lui être favorable. Six mois après le début du mouvement des gilets jaunes, le pouvoir risque bien d’avoir du mal à parvenir à ses fins en jouant l’opposition de tous contre tous. Et, pour commencer, « à opposer les salariés du privé et ceux du public », se félicite Estelle Piernas, secrétaire générale de la Cgt des établissements pour l’insertion dans l’emploi des jeunes en difficulté (Epide) et membre de la Ce de l’Ugict.
Chauffée à blanc par la réduction des moyens alloués aussi bien à l’éducation qu’aux services fiscaux, médicaux ou territoriaux, l’opinion pourrait bien soutenir largement l’appel de toutes les organisations de la fonction publique à se mobiliser le 9 mai contre la réforme du statut des fonctionnaires. Pour l’imposer, le pouvoir va donc devoir user d’autres arguments que la promesse d’une plus grande « attractivité » et « efficacité » d’un secteur à qui, dans le même temps, il promet une saignée, à savoir 120 000 suppressions de postes d’ici cinq ans dans les seules fonctions publiques territoriales et d’État.
Reste une évidence : dans cette affaire, les fonctionnaires et, avec eux, la société tout entière jouent gros. Le « projet de loi de transformation de la fonction publique » s’avère en effet une véritable machine de guerre contre l’idée de services publics dédiés à l’intérêt général et indépendants des desiderata politiques. Son ambition est d’amenuiser la capacité de résistance des agents publics en précarisant plus encore, en créant des contrats de projet et en introduisant des ruptures conventionnelles dans un secteur qui en était jusque-là préservé. Mais la fonction publique n’a pas besoin de davantage de précarité. Aux dernières statistiques, 17 % des emplois y sont déjà contractuels.
Des contrats de six ans mais pour quoi faire ?
Ses intentions sont aussi de « renforcer le favoritisme et l’arbitraire par une individualisation renforcée les carrières et des rémunérations, en affaiblissant le rôle des commissions administratives paritaires et les droits syndicaux », comme le dénoncent les syndicats Cgt et Ufict-Cgt du Grand-Reims. Elles sont de transformer le rôle et la fonction des cadres en leur imposant non plus seulement de gérer des services avec des budgets de plus en plus serrés, mais aussi de se faire les agents du rapprochement à grande vitesse de la fonction publique avec les méthodes de gestion du privé.
Les contrats de projets limités à six ans, prévus dans le texte gouvernemental, en sont l’expression la plus simple, explique, avec Estelle Piernas, Karim Lakjaâ, cadre supérieur de la fonction publique territoriale et secrétaire général du syndicat Ufict du Grand-Reims. « Six ans, cela ne correspond pas à la durée nécessaire à la pérennisation d’une politique publique au service du plus grand nombre. Mais, dans la fonction publique territoriale, cela peut correspondre à un projet politique. » Comment, enfin, ne pas voir dans la possibilité de recruter des directeurs généraux issus du privé (article 5 du texte gouvernemental), la dernière pièce à l’édifice ?
« Éradiquer la culture du service public et la déontologie du fonctionnaire est bien l’objectif de ce texte », concluent les deux militants. Mises bout à bout, confirme Gilles Jeannot dans une tribune parue le 21 mars dans Le Monde, ces mesures préfigurent le triomphe d’une vision des services publics à l’anglaise, l’avènement d’un monde où, si des instruments d’action sont offerts aux managers de terrain, ceux-ci sont assortis d’un renforcement de la nomination discrétionnaire et d’une nouvelle forme de contrôle bureaucratique. Et l’on ne s’étonnera pas que cette réforme et la manière dont elle est menée engendrent jusqu’à la colère des employeurs. Lors d’un bureau du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le 20 février, ceux-ci, avec les organisations syndicales, ont considéré comme inacceptable le calendrier de la réforme imposé par l’État.
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