Le projet de loi de financement pour 2019 met à mal l’autonomie des finances sociales, au mépris des principes fondamentaux. Seule semble primer la volonté de construire un budget qui se traduise par des excédents. Aux prestations de s’ajuster. Explications avec Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral Cgt, vice-président de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
– Options : Présenté en conseil des ministres le 10 octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) pour 2019 a reçu un avis négatif de l’ensemble des caisses nationales de sécurité sociale. En quoi ce projet, débattu en ce moment à l’Assemblée nationale, marque-t-il une rupture avec les principes qui, jusqu’à présent, ont gouverné la Sécurité sociale ?
– Pierre-Yves Chanu : Nous considérons que ce projet de loi constitue une attaque sans précédent contre l’autonomie des finances sociales. La rupture principale se situe en effet dans l’évolution de la logique de financement vers un renforcement de l’étatisation de la Sécurité sociale. De ce point de vue, le Plfss 2019 se situe dans la continuité d’un ensemble de réflexions lancées par le gouvernement comme en témoigne, déjà, la Loi de programmation des finances publique (Lpfp) pour les années 2018-2022, adoptée en janvier 2018.
Dans la foulée, un rapport a été confié à Christian Charpy, secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, sur la « rénovation des relations financières entre l’État et la Sécurité sociale » pour concrétiser un engagement de la Lpfp : un transfert partiel des excédents de la Sécurité sociale vers l’État. Ce rapport, nous ne l’avons pas, pas davantage que le rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Mais, si on en juge par l’audition de son auteur devant le Haut conseil de la protection sociale, sa philosophie générale repose bien sur un renforcement de l’étatisation du financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement s’en est inspiré.
– En 2019, le régime général et le fonds de solidarité vieillesse devraient être excédentaires d’environ 700 millions d’euros. Une première depuis dix-huit ans, se félicite en substance le compte rendu du conseil des ministres. Comment s’expliquent ces excédents ?
– Pour le comprendre, il faut revenir aux propositions formulées par Christian Charpy. L’idée est que les excédents de la Sécurité sociale participent, désormais, au désendettement de l’État. C’est bien l’objectif poursuivi si l’on analyse les différentes dispositions de ce Plfss. Comment ? En mettant fin, en particulier, au principe de compensation intégrale, par l’État, des exonérations de cotisations sociales : institué par la loi Veil de 1994, ce principe avait été confirmé par la loi organique sur les lois de financement de la Sécurité sociale de 2003.
Ce sera le cas, par exemple, des exonérations sur les heures supplémentaires. À compter du 1er septembre 2019, elles seront financées par les excédents de la Sécurité sociale, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, « par la sphère à laquelle le prélèvement est appliqué ». Un autre exemple est très éclairant : il concerne le forfait social sur les dispositifs d’épargne salariale, supprimé en grande partie par la loi Pacte. Créé en 2009, ce forfait est un prélèvement destiné aux éléments de rémunération, comme l’intéressement ou la participation, qui se sont développés au détriment du salaire, entraînant un manque à gagner pour la Sécurité sociale. Sa suppression va se traduire immédiatement par plusieurs centaines de millions d’euros de recettes en moins pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav).
– Quelles en sont les conséquences ?
– Les financements de la Sécurité sociale par l’impôt sont en réalité la conséquence des exonérations de cotisations sociales que la Cgt a toujours combattues. Elles vont désormais représenter plus de 50 milliards d’euros par an, avec la transformation du Crédit d’impôt compétitivité-emploi (Cice) en baisses de cotisations sociales. Au-delà, le projet de loi contient un autre élément essentiel : jusqu’à présent, les exonérations de cotisations patronales ne portaient que sur la Sécurité sociale au sens strict ; désormais elles vont aussi s’appliquer à l’Agirc, à l’Arrco et à l’assurance chômage, comme c’est le cas depuis le mois d’octobre.
Concrètement, cela veut dire qu’il n’y aura pratiquement plus de cotisations patronales pour la protection sociale. Le mécanisme pour financer cet ensemble de dispositions est à la fois complexe et obscur, mais il est prévu de transférer 46 milliards d’euros d’affectation de Tva : c’est le tiers du produit de cette taxe qui, on le rappelle, est un impôt d’État. Mais, à l’horizon 2022, ce transfert de Tva sera progressivement diminué de 10 milliards d’euros, ce qui correspondant peu ou prou au siphonnage des excédents de la Sécurité sociale. En réalité, le gouvernement cherche à baisser les compensations des exonérations à hauteur des excédents.
– Comment, dans ce contexte d’équilibre financier retrouvé, justifier la désindexation des pensions de retraite de base et des allocations familiales ?
– Si le projet de loi table aujourd’hui sur 700 millions d’euros excédents, c’est en raison notamment d’une amélioration de la croissance et d’une hausse de la masse salariale. Cela permet de rappeler que l’amélioration de la situation financière de la Sécurité sociale repose avant tout sur un retour au plein-emploi. Cela étant dit, il faut savoir que, tendanciellement, l’année 2019 devait se traduire par un déficit. La question posée a alors été la suivante : comment agir sur les dépenses de manière à construire un budget en excédent ?
C’est pour parvenir à retrouver l’équilibre financier que, par exemple, le gouvernement a fixé l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) à 2,5 % de hausse, contre 4,5 % s’il avait eu la volonté de prendre en compte la croissance spontanée des dépenses de santé. Cette hausse limitée représente une économie de 3,8 milliards d’euros qui, contrairement aux années précédentes, n’est nullement détaillée par poste, ont souligné les représentants Cgt du conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Rien n’est prévu pour faire face aux besoins de l’hôpital public.
Ces économies, pourtant, ne suffisaient pas car il y avait aussi un déficit à la Cnav : c’est ce qui a conduit à la sous-indexation (0,3 %) des pensions de retraite, alors même que la loi prévoit leur indexation sur l’inflation, en l’occurrence 1,6 %. Finalement, exception faite de la revalorisation de prestations considérées comme prioritaires, l’Allocation adulte handicapé par exemple, le gouvernement a décidé de respecter la loi, mais uniquement pour le minimum vieillesse et le Revenu de solidarité active (Rsa)…
À la Cgt, nous sommes donc en totale opposition avec ces orientations qui remettent en cause la Sécurité sociale. La question de l’autonomie des finances sociales est essentielle et fait partie des principes fondamentaux que nous voulons défendre, dans le cadre en particulier de la campagne que nous menons pour la reconquête de la Sécurité sociale. C’est pour cela que nous revendiquons, notamment, le retour au principe de l’élection des administrateurs, l’une des conditions de cette autonomie.
Propos recueillis par Christine Labbe
Changements
En 2019 comme en 2020, Les pensions de retraite versées par l’assurance vieillesse et les allocations familiales ne seront revalorisées que de 0,3 %.
La prime d’activité, le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé bénéficieront d’une revalorisation de plus de 4 %.
Les patients refusant les médicaments génériques sans justification médicale seront moins bien remboursés à compter de 2020. Un générique coûte en moyenne 40 % de moins que le médicament princeps.
Le « reste à charge 0 » – désormais appelé « 100 % santé » – pour certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives, sera progressivement mis en place en 2021, grâce notamment au plafonnement des tarifs, mais sera largement pris en charge par les assurés eux-mêmes à travers une augmentation moyenne de 5 % des cotisations à leurs complémentaires.
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