“Why choose France ?” (« Pourquoi choisir la France ? ») demande l’Élysée aux investisseurs et aux entreprises étrangères. Parce qu’elle mène des « réformes pour favoriser l’activité économique sur [le] territoire ». Le président de la République n’hésite pas dès lors à mettre en avant la première de ses réformes, celle qu’il a imposée par ordonnances au commencement de son premier quinquennat : la réforme du Code du travail. Adoptées sans véritable débat parlementaire, les ordonnances Macron de 2017 ont eu pour effet de réduire la démocratie en entreprise. Ce que nous observons dans nos lieux de travail, la Dares le documente dans une récente étude : en quatre ans la couverture des instances représentatives des salarié·es du privé a baissé de 8 points et est désormais inférieure à 40 %.
“ Why choose France ?” Pour le président de la République, parce que ses ordonnances ont aussi permis aux directions d’entreprises de rompre massivement les contrats de travail des salarié·es en contournant la législation sur les licenciements économiques. La rupture conventionnelle collective (RCC) est aujourd’hui l’outil idéal pour se séparer de salarié·es expérimenté·es et donc qualifié·es, dont les directions estiment qu’elles coûtent trop cher.
En Île-de-France, où est concentré l’emploi de cadres et de professions intermédiaires, les services statistiques du ministère du Travail notent une hausse des restructurations ces derniers mois. Parmi les principaux secteurs dans lesquels des milliers d’emplois franciliens ont été supprimés en 2023, il y a notamment les activités informatiques, les activités juridiques, comptables, d’ingénierie et d’analyses techniques, les activités financières et l’assurance.
Ces données corroborent l’hypocrisie gouvernementale qu’on observe dans les coulisses du sommet Choose France. Ainsi, parmi les 56 projets d’investissements avec 10 000 embauches à la clé qui y ont été confirmés, on peut a minima compter deux entreprises qui ont annoncé des restructurations ces derniers mois. Accenture, qui a supprimé plus de 100 emplois par RCC en 2024 après avoir eu l’audace d’augmenter de 15 % la rémunération de ses actionnaires en 2023, tout en accordant… 0 % d’augmentation générale de salaire aux ingés, cadres et professions intermédiaires de l’entreprise lors des dernières négociations annuelles obligatoires. Et IBM, qui a annoncé vouloir supprimer des centaines d’emplois pour les remplacer notamment par l’intelligence artificielle (IA).
L’IA, et en particulier l’IA “générative”, car capable de générer des textes, des images, des vidéos, des voix, bouleverse déjà les emplois qualifiés. Le gouvernement le sait et a mandaté une commission chargée de formuler 25 recommandations sur les opportunités de l’IA en France. À chacune de ces recommandations sont assorties des dizaines de millions d’euros de nouvelles dépenses publiques d’investissement, en particulier pour la filière industrielle des semi-conducteurs, qui bénéficierait de plus d’un quart des 27 milliards d’investissements publics proposés pour les cinq prochaines années. La 22e recommandation du rapport concerne en outre l’organisation d’ici quelques mois d’un sommet international de l’IA en France. S’il est organisé sur le même modèle que Choose France, il y a fort à parier que la voix des travailleurs·ses et de leurs représentant·es sera écartée du débat sur l’IA.
C’est ce que l’on peut pressentir en prenant connaissance des recommandations du rapport, dont la ligne budgétaire à zéro. Il s’agit des quatre recommandations qui visent à garantir un soupçon de contrôle démocratique dans le déploiement de l’IA en France : réguler l’IA par la démocratie sociale, soutenir le développement de systèmes d’IA “ouverts”, garantir la transparence des systèmes d’IA et empêcher la concentration du marché de l’IA entre les mains de quelques industriels du secteur.
L’IA, comme tout outil créé de la main des êtres humains, peut servir les besoins de l’humanité, et notamment celui de réduire la cadence et la pénibilité du travail. Il faut pour cela disposer des outils démocratiques pour en contrôler sa production et son usage ; des aides publiques qui servent à financer les investissements dans l’IA, au partage des gains de productivité associés à son déploiement, en passant par les impacts environnementaux des infrastructures sur lesquelles elle se déploie (semi-conducteurs, supercalculateurs, data centers notamment).
La CGT portera ses projets alternatifs pour l’IA – à l’instar de celui qu’elle porte pour le sauvetage d’ATOS, acteur fondamental du développement de l’IA en Europe – comme sur les autres domaines industriels, lors des États généraux de l’industrie et de l’environnement. Plusieurs de ces projets trouvent leur source dans la volonté des salarié·es, aidé·es par la CGT, de construire une alternative pour leur entreprise à partir de leur expertise professionnelle.
Or pour permettre à ces aspirations de s’exprimer, il faut de la démocratie dans les entreprises. Il faut permettre aux représentant·es des salarié·es de contrôler l’usage qui y est fait des aides publiques. Il faut leur donner un droit de refuser un projet dangereux pour l’environnement, et d’y opposer une alternative vertueuse. Il s’agit dès lors d’aller à rebours de la logique des ordonnances Macron de 2017 et de la prise de décision verticale que le président de la République promeut en France, comme dans les entreprises.
“Why choose France” en réalité ? Parce que les salarié·es aspirent à prendre part aux décisions stratégiques industrielles et environnementales de leurs entreprises, et qu’ils et elles s’organisent avec la CGT et son Ugict pour le faire. Là où la porte sera fermée, nous passerons par la fenêtre !