La nouvelle souffre d’impopularité chronique auprès du public français. C’est un tort, comme le prouve la réédition d’une sélection de perles de William Chambers Morrow et d’Algernon Blackwood.
La nouvelle souffre d’impopularité chronique auprès du public français. C’est un tort, comme le prouve la réédition d’une sélection de perles de William Chambers Morrow et d’Algernon Blackwood.
La nouvelle est la forme privilégiée par laquelle les littératures populaires (entendre par là polar, science-fiction et fantastique) ont assis, à la croisée des XIXe et XXe siècles, leur formidable essor. En notre domaine, Edgar Alan Poe et Sir Arthur Conan Doyle ont mémorablement tracé la voie.
Chez le premier, les enquêtes d’Auguste Dupin ne se déclinent qu’en textes courts. Quant au canon de Sherlock Holmes, il recense 56 nouvelles, pour seulement quatre romans… Derrière ces glorieux aînés, une profusion d’auteurs moins connus a contribué à l’édification de la maison polar. Hasard éditorial, deux d’entre eux sont conjointement sous les feux de l’actualité.
La carrière de William Chambers Morrow (1854-1923) fut pour le moins indolente. On négligera pudiquement ses rares romans, pour ne retenir que la quintessence de ses nouvelles, une trentaine seulement, disséminée dans divers journaux.
En 1896, quelques-unes furent réunies en un volume. Le Singe, l’idiot et autres gens eut un certain retentissement, et bénéficia d’une traduction en français. Guillaume Apollinaire et Alfred Jarry – excusez du peu – s’extasièrent devant un génie narratif qui n’avait rien à envier à Kipling ni à Maupassant.
Pourtant, succombant aux sirènes plus lucratives d’une carrière journalistique, Morrow renonça à l’écriture. Et il fallut attendre l’orée des années 2000 pour que, des deux côtés de l’Atlantique, ses textes courts refassent surface.
Dans la pièce du fond en rassemble neuf, typiques de son art. Les phrases sobres, loin du style ampoulé et de la surenchère d’effets propres à la littérature populaire de l’époque, décrivent un quotidien qui glisse vers le désordre, l’irrationnel.L’auteur s’érige en peintre subtil d’un baroque de l’étrange – ainsi, le mécanisme d’une pendule qui, chaque soir, rejoue une exécution capitale –, dont le ton parfois suranné, mélange de détachement et d’impertinence, accroche jusqu’au retournement final.
À la lisière du polar et d’un fantastique discret, s’agitent des marginaux aux sentiments exacerbés. Ce n’est pas le moindre des mérites de Morrow que d’avoir transcrit, sur fond d’industrialisation galopante, la détresse de meurtris économiques, piégés par leurs fantasmes d’un ailleurs inaccessible. Mine de rien, il a ainsi préfiguré deux thèmes essentiels du roman noir contemporain : la violence urbaine, et la pression sociale aliénante…
À l’opposé, Algernon Blackwood (1869-1951) fut un nouvelliste fécond (il aurait rédigé plus de 200 textes), apprécié des amateurs de fantastique horrifique. H.P. Lovecraft lui-même compta parmi ses fervents admirateurs.
Seule une infime partie de son œuvre – la face émergée d’un iceberg foisonnant d’inspiration – est disponible en français, grâce à la prestigieuse collection Présence du futur de Denoël, qui lui consacra plusieurs recueils. S’il nous intéresse ici, c’est pour son docteur John Silence, créé en 1906, qu’il fit vivre cinq (longues) nouvelles durant. Un détective de l’étrange qui remporte haut la main le titre de « Sherlock Holmes de l’occulte », loin devant le désincarné Harry Dickson de Jean Ray…
Féru d’ésotérisme, Blackwood a nourri son héros de ses convictions d’un monde des esprits réel, qui nous dépasse. D’où sa force narrative ?… Pour la première fois rassemblées dans leur intégralité, ces cinq récits prônent, au-delà de péripéties retorses, la ténacité d’un enquêteur avant tout guérisseur psychique.
Le mal, qu’il se pare de lycanthropie ou de sabbats sorciers, ne détourne pas notre médecin excentrique de sa préoccupation essentielle : un devoir empathique envers ses semblables. Les protagonistes d’Algernon Blackwood, aux personnalités et états d’âme attachants, portés par une écriture lyrique, font des exploits de John Silence, même un siècle plus tard, une lecture roborative…
Souveraine dans les pays anglo-saxons, la nouvelle souffre d’impopularité chronique auprès du public français. Le Caïman, avec sa série d’anthologies à thématiques historiques, fait partie de ces éditeurs qui promeuvent, sans baisser les bras, le format court. Au-delà des colèresmuettes s’appuie sur le 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie pour mieux honnir toute forme de (néo)colonialisme.
Creusant le sillon de la collection, ce nouvel opus entremêle fictions, correspondances, poèmes, parcours historiques romancés, nantis de témoignages graphiques – dont la couverture signée Tardi.
De cette mosaïque foisonnante, on retiendra les colères froides d’Alexandra Schwartzbrod, Thomas Cantaloube et Didier Daeninckx. Et plus encore les mots de Frédéric Bertin-Denis, lorsqu’il décrit les affres d’un jeune appelé du contingent qui, croyant semer la paix, récolte la violence.
Manière de nous rappeler, tandis que le son du canon gronde en Europe, l’obscénité de toute guerre…
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