Index de l’égalité : un réel progrès ou une « fabrique de l’opacité » ?
Il est censé faire disparaître les écarts injustifiés de salaire entre les femmes et les hommes. En réalité, l’index de l’égalité professionnelle cumule défauts et effets pervers. À tel point qu’il pourrait même constituer un obstacle à certains progrès.
Il est censé faire disparaître les écarts injustifiés de salaire entre les femmes et les hommes. En réalité, l’index de l’égalité professionnelle cumule défauts et effets pervers.
« En devenant une routine, l’Index [de l’égalité professionnelle] pourrait conduire à une certaine forme de déresponsabilisation des entreprises, qui se satisferaient d’obtenir une note d’au moins 75 et ne seraient pas incitées à négocier. » Dans un rapport d’études publié en novembre dernier (1), la Dares met clairement en garde contre les défauts, limites et effets pervers de cet outil. Début mars, chaque publication annuelle des résultats donne pourtant lieu à des communiqués saluant l’amélioration de la situation. « S’il reste encore du chemin à parcourir, l’Index a indéniablement fait bouger les lignes ces trois dernières années », se félicitait ainsi, le 8 mars 2021, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, parlant d’une « bonne progression ».
Lancé en 2018, cet index est partie intégrante de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de septembre 2018 et se veut l’outil pour, d’ici à 2023, « en finir avec les écarts injustifiés de salaire entre les femmes et les hommes », laissant d’ailleurs ainsi entendre que certains écarts sont « justifiés ». Il est bâti sur cinq indicateurs : le premier est censé mesurer l’écart de rémunération entre femmes et hommes « à poste et âge comparables » ; le deuxième, le nombre de femmes et d’hommes dont le salaire a été augmenté dans l’entreprise ; le troisième recense celles et ceux qui ont bénéficié d’une promotion ; le quatrième concerne l’obligation légale d’accorder aux femmes, à leur retour dans l’entreprise, les augmentations de salaire consenties pendant leur congé maternité ; le cinquième, enfin, décompte le nombre de femmes et d’hommes parmi les dix plus hauts salaires de l’entreprise. La somme des indicateurs donne un score sur 100.
Un écart de rémunération de 15 % et… aucune sanction !
Dès l’annonce de sa création, fin 2018, les confédérations syndicales représentatives (Cfdt, Cgt, Fo, Cfe-Cgc et Cftc) craignent qu’il « ne permette pas d’atteindre l’objectif fixé : supprimer enfin les écarts de rémunération ».« Il suffit d’avoir 75/100 pour ne pas être sanctionné. Or le barème retenu est très progressif et les cinq critères se compensent. Il sera donc possible de ne pas être sanctionné tout en ayant un écart de rémunération de 15 % ! », soulignent-elles alors dans une lettre ouverte au ministère du Travail.
Dans le bilan qu’elle a publié, la Dares observe bien « une hausse de la note moyenne [de l’Index] depuis 2018, surtout pour les plus grandes entreprises ». Elle précise que « l’administration publique et l’action sociale, qui comptent plus de 70 % de femmes, ou encore l’industrie pharmaceutique et l’hébergement-restauration, qui en comptent 50 %, font partie des cinq secteurs obtenant les meilleures notes en moyenne ». Mais cette amélioration est à relativiser. D’une part parce que, dans les entreprises de plus de 250 salariés, la hausse de la note provient essentiellement d’un « alignement sur la législation relative au retour de congé maternité ». D’autre part parce que, dans bon nombre d’entreprises, l’Index ne peut être calculé, faute d’effectifs suffisants dans certaines catégories, par exemple en ce qui concerne certains postes de travail. « Ainsi, détaille la Dares, dans le secteur du transport-entreposage, plus des deux tiers des entreprises de 50 à 250 salariés n’ont pas pu fournir leur Index en 2020, comme un tiers des entreprises de 251 à 999 salariés. »
Des critères d’évaluation qui posent problème
Dans une note publiée en janvier, le collectif Femmes mixité de la Cgt analyse l’Index comme une « fabrique de l’opacité ». Il est en réalité « une autoévaluation des entreprises », dénonce-t-il, tout en rappelant que « les inspections du travail n’ont aucun moyen de vérifier le sérieux » de cet outil et que « les syndicats ne disposent pas du détail des écarts de rémunération ». Les critères eux-mêmes posent problème. Ainsi en est-il de celui sur l’écart de rémunération : il ignore les temps partiels ou se voit aussi « retrancher automatiquement 5 points du fait d’un “seuil de pertinence” ». Le deuxième critère sur les augmentations de salaire ne prend pas en compte leur montant. Le quatrième critère ne mesure que la proportion de femmes augmentées à leur retour de congé maternité, alors que le Code du travail exige qu’elles bénéficient de la même augmentation que leurs collègues de même catégorie. « Aucune entreprise n’a encore été sanctionnée », souligne la Cgt, qui note que, à l’inverse, celles « ayant moins de 100/100 [soient] obligées de négocier un plan de rattrapage avec les organisations syndicales ». Sous peine de sanction.
Étude réalisée par le laboratoire universitaire Clersé, l’université de Lille, le Corif, association œuvrant pour l’égalité professionnelle et la mixité, et le cabinet d’expertise Orseu.
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