Santé

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Face à la pandémie, la Mutualité pour une mise en « sécurité sociale »

Les Mutuelles de France présentent un ensemble cohérent de 42 propositions pour affirmer, dans un contexte profondément bouleversé par la pandémie, que « la santé est un droit », et ouvrir un débat autour des conditions de son effectivité.

Luc Nobout / IP3 ; Paris, France le 05 mars 2020 – Consultation d un medecin generaliste en cabinet avec son kit de Masque anti projection FFP1 – Consultation of a general practitioner in the office with his FFP1 anti-projection mask kit – FRANCE ONLY (MaxPPP TagID : maxnewsfrfour413463.jpg) [Photo via MaxPPP]

La pandémie de Covid-19 a confirmé l’extraordinaire force de la Sécurité sociale, qui a encaissé ce choc inédit pour protéger la population. Mais elle a aussi mis en lumière les fragilités du système de santé et de protection sociale, malmené par des décennies de politiques néolibérales et de désindustrialisation. Pour autant, rien n’indique que l’exécutif ait renoncé aux grandes lignes de ces politiques. La crise sanitaire peut donc fournir l’opportunité de brutaliser les services publics de santé, au prétexte de leurs faiblesses, alors qu’elles résultent de décisions prises par ceux qui les attaquent. De la même façon, elle pourrait accélérer la dénaturation de la protection sociale.

Pensée initialement pour protéger les femmes et les hommes, elle est depuis longtemps détournée au profit des entreprises prétextant une politique favorable à l’emploi. En se focalisant sur les entreprises, le « quoiqu’il en coûte » gouvernemental macronien a accentué ce changement de nature, la protection sociale devenant alors une protection d’État pour les entreprises privées.

Nous voulons une société qui invente des solidarités nouvelles

Dans un contexte riche d’enjeux et d’incertitudes, la Fédération des mutuelles de France (Fmf) a engagé un travail de coconstruction militante durant plusieurs mois, autour de ces enjeux, afin d’aboutir à une plate-forme extrêmement complète de 42 propositions. Avec, d’évidence, la volonté de l’inscrire dans le débat public, et singulièrement dans le cadre de la campagne présidentielle. Cet ensemble de propositions, titré « La santé est un droit », esquisse les contours d’une protection sociale universelle, permettant un accès effectif de toutes et tous à la santé. C’est donc en fait à une rupture globale qu’elles invitent, en réhabilitant la dimension politique, démocratique, de la santé comme construction sociale.

Une ambition que revendique hautement Jean-Paul Benoit, président de la Fmf : « Comme mutualistes, nous voulons une société qui invente les solidarités nouvelles dont nous avons collectivement besoin dans ce xxie siècle. Une société qui combat les injustices aggravées pendant la crise, qui propose un avenir à la jeunesse stigmatisée et pénalisée, qui réalise effectivement l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce combat pour la justice sociale ne date pas d’hier et n’a rien perdu de son actualité, au contraire. Mais il y a urgence à réactualiser ses objectifs et ses modes d’intervention sur la scène sociale, avec l’ensemble du mouvement social. »

L’urgence se lit, de fait, dans l’articulation, rarement aussi systématisée, des dimensions démocratiques et sanitaires, d’un point de vue général, mais de façon appuyée concernant les enjeux propres aux mondes du travail. La Fmf déplore ainsi qu’un certain nombre de dispositions propres à l’état d’urgence sanitaire glissent dans le droit commun, au détriment des libertés individuelles et collectives. Pascale Vatel, secrétaire générale de la Fmf, rappelle que « le gouvernement a choisi de concentrer les pouvoirs dans ses mains, de légiférer par ordonnance, de concentrer ses décisions autour d’un “conseil de défense”. Tout se passe comme si le fonctionnement pluraliste de notre démocratie était vu comme une entrave à la gestion d’une situation exceptionnelle, alors qu’il en est justement l’un des meilleurs outils. En matière de santé, c’est en misant sur la confiance qu’on obtient l’engagement ».

Dans le bouquet de propositions qui structurent son appel à « réformer complètement la démocratie sanitaire », la Fmf fait une large part à la dimension territoriale en se prononçant pour le renforcement du rôle et des moyens des conférences régionales de santé et de l’autonomie, outils d’implication des citoyens dans la politique de santé. Elle en appelle à une coordination réelle, effective, des agences régionales de santé (Ars), des caisses primaires d’assurance maladie (Cpam), des collectivités et des institutions de soin. Dans un tel cadre, souligne-t-elle, les conférences régionales de santé et de l’autonomie peuvent devenir un véritable outil pluraliste de décision et devraient disposer de vraies prérogatives.

« Nous avons besoin de jouer collectif »

Ce souci de rassemblement des acteurs se retrouve à propos du monde du travail. « Travailler ne doit pas aboutir à aggraver l’état de santé, mais au contraire contribuer à la promouvoir, estime Jean-Paul Benoit. Nous plaidons pour une prise en charge globale des risques du travail et ce, avec toutes les parties prenantes : médecine du travail indépendante et au financement garanti, syndicats, employeurs, Cse et commissions santé sécurité et conditions de travail (Cssct), dont les moyens doivent aussi être renforcés. Les mutuelles pourront alors investir une fonction de tiers de confiance pour les différentes parties afin de développer des actions de prévention. »

Pour aller à cette redistribution pour laquelle elle plaide, la Fmf souligne l’importance du secteur de l’économie sociale et solidaire comme levier de changement, mais elle en appelle surtout à l’unité des forces sociales, politiques et démocratiques pour débattre des enjeux de santé, de protection sociale et en garantir l’avenir : « La crise économique remet en cause nos modes de production et de consommation ; la crise sociale, elle, a dévoilé la paupérisation massive et ses conséquences, le démantèlement des dispositifs sociaux, l’extrême fragilité des plus démunis. La crise politique parachève la rupture de confiance dans les systèmes de représentation et enfin, beaucoup estiment que l’action collective n’est plus un levier de prise en charge du bien commun dans la durée », note Jean-Paul Benoit. Et de conclure : « dans un tel contexte, poser les bases d’un autre avenir pour le progrès social ne peut être le monopole de qui que ce soit. Nous avons besoin de jouer collectif ».

Gilbert Martin

L’identité de la Fmf

La Fédération des mutuelles de France, présidée par Jean-Paul Benoit, affilie plus de 60 groupements mutualistes, dont 40 mutuelles complémentaires-santé et prévoyance et 20 unions ou mutuelles gérant plus de 280 établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. L’ensemble des mutuelles et unions de la Fmf protègent 2 millions de personnes. Née en 1986 et héritière de la Fédération nationale des mutuelles ouvrières, la Fmf est membre de la Fédération nationale de la Mutualité française depuis l’unification du mouvement mutualiste en 2002.

Plate-forme

Un ensemble cohérent de 42 propositions

Quatre grands thèmes dessinent les contours d’une protection sociale universelle et couvrent aussi bien les besoins de santé que le financement de leur satisfaction.

Premier axe : la solidarité. Partant du constat que les logiques néolibérales n’ont fait que resserrer les limites du modèle actuel de protection sociale tout en faisant reculer la prise en charge collective, la Fmf oppose à l’actuelle paupérisation l’idée d’une protection sociale universelle de haut niveau, financée de façon juste et pérenne pour répondre à l’ensemble des besoins. Cela passe notamment par une amélioration du niveau de prise en charge par la Sécurité sociale, par l’élargissement de son périmètre et par une prise en charge améliorée de la perte d’autonomie liée au handicap ou à l’âge. Ce type de réponse, solidaire et ambitieuse suppose une redistribution de la richesse produite nationalement.

Le second axe vise à permettre l’accès de toutes et tous à la santé. En rupture nette avec toutes les politiques d’austérité appliquées ces dernières décennies, les propositions formulées ici visent à requalifier l’hôpital public comme un acteur de santé essentiel, avec ce que cela suppose de moyens techniques et humains d’accueil, de conditions de travail, de qualifications et de rémunérations, afin de permettre une prise en charge globale et coordonnée des patients, excluant toute approche strictement gestionnaire.

Au-delà du seul hôpital, la Fmf plaide pour l’adoption d’une stratégie nationale pour l’accès à la médecine de premier recours, visant à faire reculer les déserts médicaux, qu’ils soient ruraux, urbains ou intermédiaires. Cela suppose notamment la mise en place d’un schéma opposable de l’organisation de l’offre de premier recours, associé au déploiement des moyens nécessaires pour permettre aux professionnels de remplir leur mission dans de bonnes conditions, y compris en promouvant et régulant le télé-soin et la télémédecine.

Le troisième axe, consubstantiel aux deux précédents, passe par la reconnaissance de la dimension démocratique de la promotion de la santé. Indépendamment des enjeux liés aux barrières financières qu’il faut abattre, la santé et la protection sociale sont des sujets éminemment politiques, et l’existence de « citoyens en santé », suppose un fonctionnement démocratique opérationnel. Mieux assurer la prise en compte de l’ensemble des acteurs concernés, y compris les patients et usagers du système de santé, doit se traduire notamment par l’ouverture des processus de décisions concernant la protection sociale et le système de santé. Cela vaut de façon singulière pour le monde du travail, où l’on voit apparaître de nouvelles formes de risques santé, notamment liées au management, au télétravail… alors même que le Parlement s’apprête à fragiliser fortement la médecine du travail, à limiter davantage son indépendance à l’égard de l’employeur, et que les instances représentatives du personnel sont dessaisies de ces enjeux.

Le quatrième et dernier axe concerne l’économie sociale et solidaire. Celle-ci pose les jalons d’une « économie autrement » qui, loin d’être une utopie, a démontré, dans la crise sanitaire, sa pertinence et sa capacité à faire montre d’ingéniosité au service d’une prise en compte du bien commun. C’est particulièrement vrai s’agissant d’un secteur qui touche aux droits humains, celui de la santé et du médico-social. Les acteurs non lucratifs doivent devenir des acteurs déterminants de ce secteur, par exemple pour les établissements médico-sociaux comme les Ehpad, et pour la politique du médicament. La logique des acteurs lucratifs montre chaque jour ses limites, tandis que l’économie sociale et solidaire a la capacité d’apporter des réponses pertinentes… à condition d’être reconnue et de développer des coopérations. G. M.

Les 42 propositions sont consultables sur : www.lasanteestundroit.fr