Un papi tueur rongé par Alzheimer qui sauve une femme désespérée ; une mamie en cavale qui se planque dans un mobil-home avec un voyou des beaux quartiers… Chacun à leur manière, Benoît Philippon et Pascale Dietrich racontent des tête-à-tête savoureux, transgénérationnels, foutraques et solidaires.
C’est l’histoire d’un tueur, d’une femme et d’un cochon.
Monsieur Rochemore, quasi octogénaire, arbore une moustache frémissante et des faux airs bonhommes de Jean Rochefort. Il a aussi un voile noir dans la tête. Parfois, le brouillard se déchire. « Mais qu’est-ce que je fous là ? » Là, c’est dans sa chambre d’Ehpad… Ah, oui, finir le boulot et trucider le sieur Marino… Mais d’abord s’évader…
Mathilde a le moral dézingué. Elle enjambe la rambarde d’un pont, au-dessus d’une autoroute, quand un groin vient la renifler. C’est celui de Madame Chonchon, la truie apprivoisée du papi évadé. Drôle d’endroit pour une rencontre. « Appelez-moi Mariole », se présente le vieil homme à la désespérée dont il vient de sauver la vie… Commence, pour l’improbable trio, un périple mouvementé à bord d’une antique Dauphine Renault…
Gouaille tendre et trash à la fois
Le premier roman de Benoît Philippon, paru dans la Série noire en 2016, portait le titre prophétique de Cabossé. Depuis, il n’a cessé de conter des histoires d’êtres déchus ou ballottés par un monde qui se délabre, mais où la dignité se tient toujours en embuscade. Papi Mariole, son cinquième opus, ne déroge pas à la règle, se teintant ici d’une gouaille tendre et trash à la fois. Difficile de résister au charme de cet attelage constitué d’un tueur à gages sur le retour rongé par la maladie d’Alzheimer et d’une jeune femme suicidaire bourrée d’anxiolytiques, flanqués d’un animal de compagnie porcin – bonjour la discrétion lorsqu’on est en cavale !
Quand le premier voudrait tant se souvenir – où il a planqué sa panoplie de travail, par exemple –, tandis que la seconde, humiliée par un prédateur sexuel, rêve d’un oubli rédempteur. L’un quémande son passé, l’autre aimerait s’en débarrasser. Vieillesse et détresse unies dans le même road-trip décalé où chacun, sans perdre de vue ses objectifs respectifs – remplir son ultime contrat pour lui, se venger pour elle – va s’apprivoiser et apprendre à veiller sur l’autre…
La conscience douloureuse de sa sénescence
La folie douce de cette odyssée singulière, jusqu’à son final émouvant, est servie par une écriture nerveuse, un découpage et des dialogues au cordeau. C’est la patte d’un auteur qui est également scénariste et réalisateur, et pimente d’ailleurs son récit de réjouissantes allusions cinématographiques. Mais ce qui séduit par-dessus tout, c’est le cheminement du roman, en permanence sur une ligne de crête entre drame et comédie, et l’aisance avec laquelle Benoît Philippon passe d’un registre à l’autre.
La verve et l’humour ne le cèdent en rien à la dénonciation de plaies sociétales. Et Papi Mariole, sans en avoir l’air, en dit long sur la dépendance de nos aînés, la conscience douloureuse de sa sénescence, le cyberharcèlement, la masculinité toxique… Avec une empathie contagieuse pour des personnages effervescents, juste coupables de vouloir rendre notre monde un peu plus vivable…
Planqué dans un mobil-home au camping de l’Étang
Hasard éditorial, Pascale Dietrich publie simultanément L’Agent, son cinquième roman pour elle aussi, qui incite à une comparaison ludique avec les protagonistes de Papi Mariole.
C’est l’histoire d’un gestionnaire de talents, d’une mamie et d’un mobil-home. La petite trentaine et la réussite arrogantes, à l’aise dans ses costards chics, Anthony vit avec Papa et Maman dans le cossu XVIe arrondissement. Il n’a pas son pareil pour recruter des « photographes » – dans son jargon : des flingueurs. La crème des pros de l’assassinat en tout genre. Faut juste demander, allonger 10 % en sus du contrat pour ses frais perso, et organisation au cordeau garantie. Le business est lucratif. Jusqu’au jour où un contrat part en vrille. L’arroseur subitement arrosé prend la poudre d’escampette, Papa et Maman sous chaque bras (car oui, au fait, ce sont ses compagnons canins…), des sicaires biélorusses à ses trousses. Une opportunité salutaire et, hop, cap sur le camping de l’Étang, à Vierzon. Planque paumée, donc idéale…
Rituel apéro-barbecue-karaoké-pétanque
L’heure de la retraite a sonné depuis belle lurette. Mais Thérèse et sa mémoire qui flanche s’obstinent à diriger son agence matrimoniale, désuète et miteuse, qui périclite. Un Avc plus tard, la septuagénaire, harcelée par un usurier qui veut récupérer sa mise et un neveu qui veut la reléguer en Ehpad-mouroir, se rebiffe et prend le large. Se fondre au milieu de nulle part. Pourquoi pas cette cohabitation intergénérationnelle à Vierzon, au camping de l’Étang…
Adepte du texte court et serré, Pascale Dietrich nous régale une fois de plus avec une comédie noire qui tient en moins de 200 pages. Anthony et Thérèse n’auraient jamais dû se rencontrer. Ils vont pourtant partager le même mobil-home, planté en plein désert provincial, seulement troublé par un clan de campeurs ordinaires et son rituel apéro-barbecue-karaoké-pétanque. Le duo va devoir composer avec l’irruption d’une troisième larronne, championne déchue (et déçue) de biathlon, qui rêve de retrouver l’adrénaline de tirs bien ajustés. Et pendant ce temps, les poursuivants d’Anthony remontent sa piste…
Comme chez Benoît Philippon, dans un tête-à-tête savoureux, deux personnes dissemblables, de générations différentes, vont tisser des liens, se comprendre, s’entraider… L’autrice – est-ce un effet de son métier de sociologue ? – brosse son petit monde avec beaucoup d’humanité et de tendresse, décoche de jolies flèches sur la vieillesse, la solitude, les vertus de la solidarité. La tonalité est juste, l’intrigue aux petits oignons, l’ensemble loufoque et malicieux, enveloppé d’une écriture vive et sans esbroufe. Et le lecteur sourit. En route pour Vierzon !…
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