Législatives : appels syndicaux aux candidats « républicains » et inquiétude des fonctionnaires
Le Rassemblement national est présent au second tour dans la majorité des circonscriptions. Cgt et intersyndicale ont appelé les autres candidats à faire front. De nombreux cadres alertent sur les conséquences d’une arrivée du Rn au pouvoir pour les services publics.
Dès le lendemain du premier tour, la Cgt, dans un appel à « battre le Rn pour gagner des avancées sociales et environnementales », demande aux « candidats républicains » arrivés en troisième position de ne pas se maintenir dans le cadre de « triangulaires qui assureraient la victoire de l’extrême droite ». L’urgence est de tout faire pour que ce « poison mortel pour notre république, notre démocratie et pour les travailleuses et travailleurs (…) ait le moins de députés possible ».
S’adressant à l’ensemble de ces « candidats républicains », la Cgt demanded’abroger la réforme des retraites, de renoncer à celles de l’assurance chômage et de la fonction publique, de prendre des mesures pour augmenter les salaires, les pensions et minima sociaux mais aussi d’investir massivement dans les services publics. Elle appelle de nouveau à voter pour le Nouveau Front populaire.
Intersyndicale contre une offensive liberticide
Le même jour, l’intersyndicale Cgt-Cfdt-Unsa-Solidaires engage à « faire barrage à l’extrême droite dans les urnes en votant pour les candidates et candidats les mieux placés pour battre l’extrême droite ». Elle enjoint également les candidats « à la responsabilité pour empêcher l’élection de députés du Rn et alliés ».
En effet, rappelle l’intersyndicale, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir serait synonyme de « libertés en moins ». « Liberté syndicale, liberté de la justice, liberté de la presse » seraient directement attaquées. Le Rn au pouvoir mettrait par ailleurs en place des « politiques publiques discriminantes » et des « politiques antisociales ». Ce serait aussi « des droits en moins pour la représentation des travailleurs et des travailleuses dans les entreprises et administrations, remplacée par une multiplication de syndicats à la main des employeurs et du pouvoir en place. »
Menace sur les syndicats
Quand le Rn prône la « liberté syndicale totale », cela signifie « permettre à quiconque de créer un syndicat indépendamment de l’obligation faite à ceux-ci de respecter les règles républicaines » explique Alain Olive, co-auteur du rapport « L’extrême droite européenne contre les travailleurs. Un dialogue social menacé » pour la Fondation Jean Jaurès. « Ce serait un moyen de faire émerger des syndicats autonomes dans les entreprises et d’interdire aux organisations jusqu’ici représentatives d’être vectrices de dialogue social interprofessionnel ou de branches. Au final, cela reviendrait à supprimer les syndicats existants. C’est un projet très dangereux pour la démocratie sociale. »
Dans les années 1990, le Front national avait d’ailleurs créé plusieurs « syndicats » (tels que Fn-Police ou Fn-Ptt), qui s’étaient finalement vu refuser la qualité de syndicats par la justice.
Fonctionnaires face au Rn : « Nous n’obéirons pas »
La question de l’arrivée au pouvoir du Rn se pose avec une acuité particulière pour les agents de la fonction publique. « Que se passerait-il pour moi, en tant que fonctionnaire, si l’extrême droite arrivait au pouvoir en France ? »se demande notamment Arnaud Bontemps, fondateur du collectif Nos services publics. Le projet du Rn, poursuit-il, « est fondamentalement contraire à celui des services publics » pour plusieurs raisons : il met en danger leur vocation universelle en prétendant les réserver à certaines catégories de la population, il entend poursuivre leur démantèlement en tarissant notamment leurs financements (diminution des cotisations sociales, de la fiscalité, de l’impôt sur les successions).
Des représentants de différents corps de la fonction publique ont alerté ces dernières semaines à ce sujet et pour certains exprimé leur refus de participer à la mise en place de telles politiques. Avant le premier tour déjà, 170 diplomates exprimaient anonymement leurs inquiétudes notamment sur les risques d’ingérences de puissances étrangères. Quelque 3 000 cadres de l’Éducation nationale, chefs d’établissement et inspecteurs, ont quant à eux signé une pétition dans laquelle ils expliquent : « Demain, peut-être, notre prochain ministre […] exigera des cadres que nous sommes d’appliquer des directives, de mettre en œuvre des politiques ou d’organiser un enseignement en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent nos métiers et justifient nos engagements. Nous ne l’accepterons pas. En conscience et en responsabilité, nous n’obéirons pas. »
Le Syndicat de la magistrature dénonce quant à lui le « péril imminent » qui pèse sur « la séparation des pouvoirs et l’État de droit » ainsi que sur « la mission première » des magistrats qui consiste à « veiller sur les droits et libertés de chacun ». Si le Rn arrivait au pouvoir et mettait son programme à exécution, les peines planchers seraient rétablies, les aménagements de peine « drastiquement limités », l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs disparaîtrait.
Plutôt que démissionner, résister collectivement
L’inquiétude est telle que les agents des catégories A et B de la fonction publique, fonctionnaires ou contractuels, sont nombreux à penser à la démission. L’Ugict-Cgt les appelle « à rester en poste pour protéger l’intérêt général ». Coupant court à l’idée selon laquelle les fonctionnaires sont faits pour obéir, elle souligne leur « marge d’appréciation des ordres » et leur responsabilité propre. En effet, la loi considère qu’un fonctionnaire est « responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées ». Il n’est par ailleurs pas tenu de se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique « dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Sur son blog, Arnaud Bontemps cite la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Il serait pourtant risqué pour un agent d’adopter une telle position de manière solitaire. Pour l’Ugict, le syndicalisme constitue une ressource nécessaire : « se syndiquer permet de se protéger et de trouver les ressources pour faire respecter son professionnalisme ». Arnaud Bontemps invite ses collègues à garder en tête « l’horizon des services publics : l’universel, le respect des droits fondamentaux, l’égalité entre toutes et tous ». Il les incite également à assumer leurs responsabilités : « la protection des fonctionnaires sert à prendre des risques, pour l’intérêt général ». Enfin, il évoquer lui aussi le caractère indispensable des collectifs de travail, seuls à même de permettre de « garder le cap, avec exigence et lucidité ».
Ugict-Cgt et Cfdt-Cadres dénoncent une « stratégie de division de la population »
Dans un appel commun à « faire barrage à l’extrême droite », Ugict-Cgt et Cfdt-Cadres dénoncent la « stratégie de division de la population » menée par le Rn. Dans le monde du travail, celle-ci ne profite pas aux travailleurs. Qui est gagnant « lorsque les femmes, pourtant de plus en plus qualifiées, sont moins bien payées que les hommes » ou lorsque « les salariés d’origine maghrébine diplômés du supérieur gagnent 11 % de moins que leurs collègues sans ascendance migratoire » ? Les employeurs seulement, répondent les deux organisations syndicales. Jamais l’extrême droite ne s’oppose au discours patronal lorsqu’il « prétend qu’il n’y aurait plus de richesses à partager » et réalise « des économies aux dépens des travailleurs ».
Alors que les ingénieurs, cadres et techniciens aspirent « à la confiance, à la reconnaissance de leur expertise par le salaire, au plein exercice de leur responsabilité professionnelle, au respect de leur autonomie et de leur éthique au travail », « l’extrême droite enterrera ces aspirations » si elle arrive au pouvoir.
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