Joueur cosmopolite, engagé et rescapé des pires tragédies du XXe siècle, Savielly Tartakover a laissé sa trace dans l’histoire des échecs en inventant, à la demande de ses hôtes barcelonais, une ouverture inédite.
En 1929, à l’occasion de l’Exposition universelle, la ville de Barcelone organisa un fort tournoi d’échecs, qui attira des joueurs d’envergure mondiale. La veille de la première ronde, les organisateurs invitèrent le joueur austro-polonais Savielly Tartakover au restaurant. À la fin du repas, ils lui firent une étrange demande : « Il existe de nombreuses ouvertures d’échecs qui portent des noms de pays ou de villes. Comme la française, l’anglaise, la scandinave, l’écossaise… Nous voudrions que vous profitiez de ce tournoi pour inventer une nouvelle ouverture. Nous lui donnerons alors le nom de catalane ! »
Savielly Grigorevitch Tartakover était né en février 1887 à Rostov-sur-le-Don, en Russie, d’un père autrichien et d’une mère polonaise. De confession juive, la famille s’installa en Autriche-Hongrie lorsque le jeune Savielly avait 12 ans. Parlant l’allemand, le yiddish et le français, il passa son baccalauréat en 1904. À Vienne, en 1909, il décrocha son diplôme d’avocat. En 1911, alors que ses parents étaient retournés en Russie, le jeune homme apprit leur assassinat durant un pogrom.
Nous ne savons pas quand Savielly s’initia aux échecs. Mais pendant ses années d’étude, il joua énormément dans les cafés de Vienne, où il croisa le fer avec les meilleurs joueurs. En 1906, à Nuremberg, il remporta un tournoi international.
De cœur entre la Pologne et la France
En 1914, Savielly Grigorevitch fut appelé à servir sous le drapeau austro-hongrois. À la fin de la guerre, il s’installa à Paris, où son excellent français et son talent aux échecs éblouirent ses amis parisiens. Même s’il ne comprenait pas un mot de la langue de sa mère, il demanda néanmoins la nationalité polonaise. Il devint consul honoraire de Pologne et, aux échecs, capitaine et entraîneur de l’équipe nationale. En 1930, il remporta le tournoi de Liège et, lors des Olympiades, fut médaillé d’or au premier échiquier de la sélection polonaise.
De la fin de la Première Guerre mondiale au début de la Seconde, Tartakover se classa parmi les dix meilleurs joueurs mondiaux. Il remporta le prestigieux tournoi de Hastings en Angleterre à trois reprises : 1924, 1926 et 1927. En septembre 1939, la Pologne fut enavhie par l’Allemagne et par l’URSS. Âgé alors de 52 ans, Tartakover s’engagea sous le drapeau français, dans la Légion étrangère, avec le grade de lieutenant. Ayant par la suite rejoint la Résistance, il y fut actif sous le nom de « lieutenant Cartier ».
À la fin de la guerre, désespéré par l’occupation soviétique de la Pologne, il se tourna vers le pays de son cœur : la France, qui lui offrit la nationalité. Désormais, il défendit les couleurs tricolores dans les compétitions échiquéennes.
Maître des échecs, esclave du casino
Il emporta le premier prix dans de nombreux grands tournois dont, en 1947, Venise et Paris. Gagna des matchs contre Réti, Johner, Lilienthal, Gromer, Winter, Klein… Fut champion de France en 1953. Hélas, également accro aux jeux d’argent, il se ruina au casino. Trop fier pour demander de l’aide à ses amis, il mourut seul et endetté en 1956 à Paris, et fut enterré au cimetière de Pantin. « Une partie d’échecs est constituée de trois phases, avait-il écrit. Dans la première, vous espérez avoir l’avantage ; dans la deuxième, vous pensez avoir l’avantage ; dans la troisième, vous savez que vous allez perdre ! »
Mais revenons vingt-sept ans plus tôt, au tournoi de Barcelone, et à cette étrange requête : « inventez-nous l’ouverture catalane ». On peut imaginer la nuit qu’a passée le pauvre homme ! Pourtant sa création, dont le but était de faire plaisir, fut une véritable trouvaille. La catalane est aujourd’hui fréquemment adoptée par les meilleurs joueurs du monde !
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