Revue de presse -
Déficit public, la faute au « modèle social » français ?
Réévalué à 5, 5 % du Pib pour 2023 et à 5, 1 % pour 2024, le déficit public résulte de choix économiques et politiques : cela n’empêche pas le gouvernement d’en faire un argument pour continuer à affaiblir les droits sociaux.
« Creuser un trou pour creuser un trou » : la formule de la ministre de la Culture, Rachida Dati, rapportée par Le Parisien du 4 avril, visait à discréditer l’archéologie préventive, qui, à ses yeux, n’a d’autre motivation qu’entraver pour le plaisir d’indispensables opérations d’aménagement et de construction. Il y a quelques décennies, les Shadoks, eux, pompaient. Pour les pourfendeurs du président Macron, les deux images conviennent : creuser les déficits publics en promettant que la croissance et le plein emploi suffiront, comme par miracle, à renflouer les caisses, relève du non-sens.
La réalité s’impose, en effet, provoquant quelques angoisses en cette période pré-électorale : le 26 mars, l’Insee a réévalué les bilans économiques 2023, établissant le déficit de la France à 5,5 % du Pib et la croissance à 1 %, ce qui a obligé le gouvernement à réajuster en catastrophe ses prévisions pour 2024 dans son « programme de stabilité »(sic) présenté au Conseil des ministres du 17 avril. La dette de la France pour 2024 est ainsi relevée à 5,1 % du Pib au lieu des 4,4 % un temps espérés, et la croissance à 1 % au lieu des 1,4 à 1,7 % rêvés.
Les rêves les plus fous de Bruno Le Maire
Dès le début de l’année, certains ont déclaré des crises aiguës de trypophobie (panique à la vue des trous) budgétaire. Ainsi, dans son dernier essai, La Voie française,chroniqué dans Le Figaro du 20 mars, Bruno Le Maire revient à ses premières amours : « C’est sur la sphère sociale que le locataire de Bercy centre sa créativité » en proposant « une véritable remise à plat du modèle social hexagonal ». Le ministre de l’Économie ambitionnait en effet bien plus que les 10 milliards d’économie réalisables par décret, via une loi de finances rectificative. Mais l’option a été rejetée par Emmanuel Macron, car elle aurait impliqué un vote des députés, donc un possible 49.3, exposant plus que jamais le gouvernement à une motion de censure.
Cela n’empêche pas Bruno Le Maire de détailler son programme d’économies sociales – si, lui, était président… Entre autres : disparition des « avantages » réservés aux seniors par l’assurance-chômage (indemnisations plus longues à partir de 53 ans) ; remise en cause de la légitimité des partenaires sociaux à gérer l’assurance-chômage ; suppression du salaire minimum, jugé trop haut ; nouvel allègement de cotisations patronales ; « responsabilisation » des patients vis-à-vis de la Sécurité sociale « qui n’est pas un open bar ».
Le Point presse Macron d’aller plus loin
Dans son dossier « Macron, l’homme aux 1 000 milliards de dette », Le Point du 11 avril explore encore plus loin les pistes pour en finir avec « l’addiction française à la dépense publique », déplorant que « la politique du chèque, sans se préoccuper de la dégradation de nos comptes publics » constitue un « déni qui va nous coûter cher ». L’hebdomadaire estime qu’un tiers des 3 100 milliards d’euros d’endettement de l’État fin 2023 est imputable aux gouvernements Macron, le « quoi qu’il en coûte » de la période Covid ne pesant pas majoritairement sur ce bilan. Et Le Point de juger illusoire le maintien d’un objectif de déficit de 3 % du Pib d’ici à 2027.
D’où l’obligation, là encore, de limiter avant tous les dépenses, en commençant par durcir les réformes déjà amorcées sur les emplois aidés, sur l’aide au logement, sur l’assurance chômage, sur les allègements de cotisations patronales, sur l’audiovisuel public, sur l’enseignement supérieur. Le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, qui creuserait les comptes (par ailleurs excédentaires) de l’Unedic de 1 milliard d’euros par an, a même droit à un traitement spécial en encadré. Le Point s’attaque de surcroît aux « farces et attrapes comptables » camouflant notamment les déficits des régimes d’assurance-vieillesse, et prône le recours aux fonds de pension pour les retraites des fonctionnaires.
Le Capital est « bien moins taxé que le travail »
Autre son de cloche de la part de l’économiste Philippe Askenazy (Le Monde du 17 avril), qui relativise le poids de la dette publique par rapport à des pays comme les États-Unis (6,3 % du Pib en 2023) ou le Royaume-Uni : « Le déficit de la France est inquiétant. Inquiétant car il est instrumentalisé pour justifier des politiques publiques de coupes dans les budgets de services publics et de la transition, et bientôt dans les prestations sociales. Inquiétant, car les dirigeants de deux grandes institutions indépendantes du politique – Banque de France et Cour des comptes – ont eu des réactions aisément taxables d’idéologiques : il faut s’occuper “enfin sérieusement des dépenses” pour la première, et dénonçant “une préférence collective pour la dépense” pour la seconde. »
Pourtant, poursuit-il, le déficit est d’abord dû à une baisse des recettes – 51,9 % du Pib en 2023 selon l’Insee, contre 54,2 % en 2017 –, et notamment au refus du gouvernement de plus faire participer les riches et les entreprises à l’effort national. Ainsi, de « l’impôt sur les sociétés abaissé, des impôts de production coupés, sans que soit remise en cause une multiplicité de dépenses publiques (crédit d’impôt recherche, subventions) et de portes ouvertes à l’optimisation fiscale ». Par ailleurs, la taxe sur la rente inframarginale des énergéticiens a rapporté 600 millions au lieu des 12 milliards escomptés et celle sur les rachats d’action n’a pas été instaurée. Et de constater que le capital est désormais « bien moins taxé que le travail ».
Punir les affections longue durée
Pour rééquilibrer les comptes de la nation, compte tenu des nombreux interdits idéologiques pesant sur les recettes, l’exécutif s’en tient à la sienne, habituelle : couper dans les dépenses publiques. Outre les réformes qui poussent à travailler le plus longtemps possible – recul de l’âge du départ à la retraite, restriction de l’accès à l’indemnisation du chômage –, l’augmentation des franchises sur les médicaments et les séjours à l’hôpital est déjà en place.
Les idées ne manquent pas : imposer un reste à charge aux salariés sur les formations (100 euros à partir de mai), profiter du recul démographique dans le système scolaire (500 000 élèves en moins entre 2022 et 2027) pour baisser les dépenses plutôt que d’améliorer les conditions d’enseignement et d’études, remettre en cause le remboursement à 100 % des personnes vivant avec des « affections longue durée », qui représentent 66 % des dépenses de l’assurance maladie, accroître le contrôle sur les arrêt de travail – systématiquement soupçonnés d’être de complaisance –, bloquer la revalorisation des retraites.
« Le mérite ne doit pas être laissé à la seule appréciation des patrons »
Le gouvernement fête à sa manière le quatre-vingtième anniversaire du programme du Conseil national de la résistance, qui revendiquait l’avènement des « jours heureux », et servit de référent à de nombreux droits sociaux, auxquels nous devons encore une partie de notre qualité de vie. Libération du 15 avril annonce ainsi la nouvelle bombe, amorcée par le projet de loi de Stanislas Guerini, ministre de la Transformation (sic) et de la Fonction publique, sur « l’efficacité de la fonction publique », que ce dernier justifie par la nécessité de « lever le tabou du licenciement » : « En souhaitant créer un cadre juridique pour faciliter le licenciement pour faute professionnelle, le ministre de la Fonction publique envoie un message péjoratif à un secteur déjà sinistré », alors que les fonctionnaires souffrent surtout d’un « manque de reconnaissance de leur travail ».
« La justice, c’est de récompenser les agents qui sont engagés et de sanctionner ceux qui font pas suffisamment leur travail »,ajoute le ministre sur France inter le 10 avril. Il veut également instaurer un système de salaires au mérite. Dans L’Humanitédu15 avril, Henri Sterdyniak, des Économistes atterrés, rappelle : « Les gains de productivité doivent se traduire par des hausses générales. Le mérite ne doit pas être laissé à la seule appréciation des patrons. »
Division patronale sur le compte épargne temps universel
Comme toujours depuis 2017, le dialogue social n’est pas une priorité pour le gouvernement. Côté patronat, sur l’assurance-chômage notamment, le Medef et la Cpme ont d’ailleurs préféré la reprise en main par l’État à un consensus avec les syndicats de salariés. Et n’hésitent plus à pratiquer la politique de la chaise vide quand ils s’opposent catégoriquement à une avancée, comme sur le compte épargne temps universel (Cetu). Les Échos du14 avril signalent que c’est l’Union des entreprises de proximité (U2P), représentant les artisans, commerçants et professions libérales, qui sauve le dialogue social : « En invitant les partenaires sociaux à négocier sur le Cetu et les reconversions professionnelles, elle vient contester le Medef sur le terrain du dialogue social. »
PourLibérationdu 17 avril, l’accord en vue avec au moins quatre syndicats « ouvrirait la possibilité pour les salariés d’épargner des jours de congé (une semaine par an) et de Rtt durant toute leur carrière pour les utiliser plus tard », un droit qui rendrait plus attractives les petites entreprises, mais permettrait aussi à certains salariés de récupérer des jours sur le plafonnement de leur compte épargne temps (dans la santé par exemple). Nul doute que la mise en œuvre de cet accord ne sera pas facilitée, aussi minime soit cette avancée face au recul des droits sociaux. Mais c’est dans l’adversité qu’une société meilleure a été imaginée par les résistants…
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