Cécile Coulon dépeint un inquiétant hameau, où un guérisseur se frotte à de dangereux secrets. Quant à Pierric Bailly, il plante sur les flancs du Jura une histoire d’amour aussi inattendue qu’irrésistible.
Qu’un écrivain ou une écrivaine soit de quelque part, cela semble naturel pour les lecteurs : Jim Harrison et Philip Roth sont américains (l’un vient du Michigan et l’autre est typiquement new-yorkais), Erri di Luca et Elena Ferrante sont italiens (napolitains), Haruki Murakami et Mishima sont japonais (tous deux de Tokyo) . Nous savons que Marcel Pagnol vient des environs de Marseille, que les Viennois Stefan Zweig et Freud se sont rencontrés, qu’Arto Paasilinna, Analdur Indridason et Henning Mankell sont des écrivains scandinaves (Finlande et Suède)…
Cécile Coulon, elle, est née à Saint-Saturnin, au cœur du Puy-de-Dôme : moins d’habitants à ce jour qu’en 1793… Elle y a passé son enfance et son adolescence. Alors, elle connaît ces coins ruraux que certains qualifieraient de « paumés » et il n’est pas étonnant que son dernier roman se déroule quasi exclusivement dans un hameau entre deux collines, celle de derrière s’arrondissant lorsque celle de devant s’élève. « Le hameau gisait là… Un filet de maisons gris et noir de part et d’autre de ce qui ressemblait à une rivière, si étroite qu’elle disparaissait presque entre les arbres. Se distinguent deux ponts, bombés, plutôt larges, qui enjambaient fièrement le cours d’eau.L’église, toute menue dans cette vallée, tendait vers les nuages son clocher silencieux… Trois longs bâtiments à l’écart – des étables –, une route qui piquait à l’entrée du village et sortait de l’autre côté avant de remonter. »
Guérisseur, comme sa mère auparavant
Le décor est posé. Le décor ? Non, bien plus que cela. Ce lieu se nomme le Fond du Puits ; il repose « toujours à l’ombre, l’eau y est fraîche, l’herbe plus verte que sur les deux seins pelés qui l’entourent… : les vivants persistent à vivre. On ne quitte jamais le Fond du Puits sur ses deux jambes, mais toujours portés par d’autres…Cet endroit engoncé entre deux presque-montagnes ressemble, pour les hommes d’ici, à un bord de falaise : vivre là c’est être poussé dans le vide à la moindre secousse ». C’est donc un lieu qui dicte les silences (en priorité), astreint aux murmures (en toute prudence) ou impose sa langue (comme nécessité) et provoque la violence (par fatalité).
Celui qui s’y rend est le fils. Comme sa mère, aujourd’hui trop vieille (« elle n’a plus l’âge de marcher jusque-là. Elle n’a plus l’âge d’affronter cette solitude, ces vallées enfoncées »), il vient remédier aux maux du corps et soigner les âmes, il est guérisseur et c’est sa première mission.
« Yeux pleins d’amour, mains pleines de sang »
Appelé au chevet d’un enfant, c’est une saga de douleurs qu’il entend, la fureur des violences qu’il rencontre. Cécile Coulon la rapporte sous la forme d’un conte poétique et cruel. Et même si on ne peut dater l’histoire, le « il était une fois » semble si universel qu’il pourrait se dire « il était une fois comme mille autres fois » : la noirceur des hommes, comme les entrailles du lieu, ont rythmé la vie des femmes et meurtri à tout jamais leurs ventres. L’auteur empoigne la destinée de cette espèce si (peu ?) humaine, « beaux avec leurs yeux pleins d’amour et leurs mains pleines de sang ».
La Langue des choses cachées de Cécile Coulon est une fable autant qu’un roman noir qui crie l’horreur, le feu et le sang, tonne de sourdes colères, narre l’insondable. Une lecture fiévreuse pour un roman court et halluciné qui offre le récit d’une nuit sans fin. « Entre les basses collines, il n’y a rien que le Fond du Puits. Il se demande s’il s’en sortira vivant. »
Vétérinaire, végétarien, et meurtrier
Pierric Bailly est né dans le Haut-Jura : « J’ai grandi dans un tout petit village perdu au milieu de la forêt. » C’est donc assez naturellement qu’il perche son berger John au flanc des montagnes. John vit avec Héloïse, professeure d’anglais qui a obtenu sa mutation à la Réunion, où ils projettent une nouvelle vie. Mais un soir, dans un chalet d’alpage, il feuillette un vieux journal qui traîne. Un fait-divers et une photo l’accrochent : il y reconnaît Alexandre, cet ancien camarade d’internat qui le fascinait avec son charisme inné et instinctif (« mec doux, sensible, intelligent »), et il apprend que cet ami, devenu vétérinaire et végétarien, a été arrêté pour homicide, accusé d’avoir tué un homme à coups de planche.
John prend contact avec Nadia, la femme de l’accusé, il la soutient, devient son confident. Puis tombe follement amoureux : « Vivant et amoureux comme jamais. Je relâche toutes mes défenses, je ne cherche plus rien à contrer ni à maîtriser, je laisse venir… et plus je vieillis et plus mon enfance et mon adolescence accroissent leur territoire », précise John.
Des sentiments qui hissent plus haut que les montagnes
Alors, en parcourant les années écoulées, en toisant les relations avec son grand-père et avec Alexandre, il explore l’excroissance de tous les territoires : ceux de sa vie, du temps écoulé, ceux du Haut-Jura, ceux du passage de l’enfance à l’âge adulte, ceux de l’amour et de l’amitié, ceux des mensonges, de la paternité, ceux des sentiments qui hissent plus haut encore que les montagnes…
La Foudre est une grande histoire d’amour, et les histoires d’amour sont constituées de grands sentiments. Avec Pierric Bailly, jamais ils ne tournent à la mièvrerie, toujours ils se produisent au gré d’une retenue émotive. Jamais dans le pathos, toujours sobres : une écriture de l’intime pour ce passionné de rap et une lecture au plus près d’un homme sensible enraciné dans son territoire. Un libraire a dit que Pierric Bailly est au Jura ce que Jim Harrison est au Montana. Réputation non usurpée…
Cécile Coulon, La Langue des choses cachées, L’Iconoclaste, 2024, 134 pages, 17,90 euros.
Pierric Bailly, La Foudre, P.O.L, 2023, 464 pages, 24 euros.
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