Le comédien a tiré un livre de la maladie auto-immune dont il souffre : « Le son du mot alopécie ressemble à une petite laine qu’on met sur soi, les premiers jours d’automne. « “Mets donc ton alopécie, mon chéri, il y a du vent.” »
Noam Morgensztern est un comédien talentueux. Il apparaît dans les films d’Amos Gitaï, de Caroline Huppert, de Valérie Donzelli… Il est flic dans la série De grâce, tueur dans la série Laëtitia, le père Favre dans L’Île aux trente cercueils, etc. Il a aussi prêté sa voix pour le doublage de La Pianiste, de Michael Haneke, et pour La Chambre du fils, de Nanni Moretti. Sociétaire de la Comédie française, il a joué du Molière, du Shakespeare, en passant par Labiche. Il a même incarné le poète chilien Víctor Jara, mort sous les balles fascistes en 1973 à Santiago.
Il a également enregistré, seul, La Bible des écrivains. Une bible entièrement retraduite par des linguistes et des écrivains contemporains comme Jean Echenoz, Marie Ndiaye, Valère Novarina, Jacques Roubaud, Emmanuel Carrère et d’autres. Cette traduction fait de la bible non un texte sacré, immuable et clos, mais une histoire qui se déplie, une littérature forte, une poésie polyphonique, du vivant qui doute et tâtonne. Une bible pour les incroyants ? Assurément, même si les exégètes peuvent, s’ils le souhaitent, y saisir du sensible.
Noam Morgensztern fait plus que prêter sa voix : il la donne de tout son corps, il engendre du chant par l’inflexion qu’il donne, aux aguets d’un texte en vie, ardent et vif. Et il a pris son temps, à l’époque du Covid, lorsque le temps se mesurait autrement : plus de cent heures d’enregistrement. Une lecture remarquable, comme un dévoilement jubilatoire. Colère ou douceur, dans le phrasé de Noam Morgensztern, tout est à fleur de peau.
Le regard des autres est notre premier miroir
Pas étonnant que le titre de son livre soit Après la peau. Il faut dire que son personnage – c’est lui – est atteint d’une maladie dont on parle davantage depuis qu’un de nos Premiers ministres l’a portée sur son visage : la perte des poils, des cheveux, la pelade, l’alopécie. A priori, rien de passionnant. Mais pour un comédien, enragé des mots et du sens, cela questionne. Par exemple : « Son sourcil droit s’affaisse en son milieu, en une bruine invisible qui lui luge l’œil. […] L’accord du visage d’Adam est rompu. Un double discours. Oui, ses expressions cahotent. L’interlocuteur d’en face cherche la clarté d’un propos qui lui est maintenant brouillé. […] Un simple dialogue devient un carnet de rendez-vous manqués. Puis l’autre sourcil tombe. » Délicat, pour un comédien, un acteur, mais tout simplement pour n’importe quel homme : le regard des autres est notre premier miroir.
Alors, il décide de s’attaquer à cette maladie auto-immune, de se soigner. Boris Cyrulnik lui conseille de partir à la recherche du choc déclencheur du trépas des poils. C’est en lisant Élisabeth Kübler-Ross, spécialiste du deuil, qu’il apprend « à vivre avec l’absence de l’être que l’on a perdu » : il décide de lui parler de son corps, cet « être cher » perdu mais toujours pas mort : son corps a vécu à Tanger, ville fragile qui lui ressemble, ou partout souffle « le chergui, ce vent indécis qui ramasse du sable et raye les murs et la mer ». Son corps lui vient de ses ancêtres, qu’il convie. D’abord son grand-père paternel, avec qui il a fait un voyage à Radzymin, un village au nord de Varsovie, pour « se faire une idée de la géographie » de l’enfance du patriarche. Cette grand-mère est née à Olshany, dans l’actuelle Biélorussie, ; « clairs cheveux courts et reflets roux ». Le grand-père maternel est né à Alger ; « coupe militaire, implantation vigoureuse, du laisser-aller en hauteur, mais la nuque toujours propre ». Cette autre grand-mère est née à Metz, « issue d’une fratrie, tous originaires de Tchécoslovaquie et de Pologne ; ondulés de châtain clair, cheveux fragiles ». Des grands-parents qui avaient « le côté raffiné des gens qui ont souffert ». Ils sont morts, bien sûr. Et de convoquer d’autres morts, Dorit, Rémi… Comme pour constater que si « l’alopécie n’est pas la mort, elle nous déshabille de notre vivant : la mort prépare son visage jaune, enchaîne sur l’apparence d’un corps terminé, parti pour l’effeuillage total et indolore, et puis à un moment elle s’arrête… » Comme si la mort ne savait plus.
« Dans toute maladie, un livre sommeille »
S’organise la quête du soin, « la passion pour le remède ». Après les spécialistes (désillusions), il tente les huiles essentielles, les cures de levures de bière, l’application d’une mixture d’ail et d’oignons, et même, pourquoi pas, de la m…. ! Et d’autres tentatives, mais « ça rien n’a donné ». Puis il passe en revue les chocs, nombreux, divers. « #choc. J’ai lu cette phrase : “Dans toute maladie, un livre sommeille.” Je me demande si je n’ai pas développé ma maladie pour le simple bénéfice d’un récit à raconter. La terrible transaction : une maladie contre un ISBN. »
« Écrire, c’est redire en zoomant », précise-t-il : zoom sur le poil, l’absence de poil, oui. Mais surtout zoom sur son reflet, sa vie, la vie parmi les autres, son histoire passée, sur le vieillissement, la mort et les mots, les phrases, sur le besoin et la nécessité d’écrire… Parfois drôle, souvent grave et émouvant, autant pertinent qu’impertinent, ce premier roman de Noam Morgensztern est délicieusement narcissique, subtilement délicat et toujours présent au monde. Un livre au rythme du « soi » et de « l’inconscient » du genre humain.
La Bible des écrivains, Bayard, 2023, 2 680 pages, 39 euros.
La Bible des écrivains, coffret audio numérique, interprétation de Noam Morgensztern, 102 heures et 39 minutes, Bayard, 2023, 59,99 euros.
Noam Morgensztern Après la peau, Riveneuve, 2024, 216 pages, 20 euros.
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