Échecs – Le retour de Henry Bird

Celui que beaucoup qualifiaient de « joueur de café » aura, au cours de sa carrière, battu Staunton, Steinitz et Lasker, trois champions du monde. Il est également entré dans l’Histoire comme le premier joueur à avoir remporté un prix de beauté pour une partie disputée en compétition officielle.

Édition 041 de début décembre 2023 [Sommaire]

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Pièces d’échecs noires © Deva Darshan/Pexels

Henry Edward Bird est né en 1829 à Portsea, une île anglaise de la Manche. Poussée par la misère, sa famille s’installe à Londres en 1836. Il a 15 ans lorsqu’il découvre les échecs au Raymond’s Coffe House. Deux ans plus tard, il pousse la porte de la Mecque échiquéenne du pays  : le Simpson’s Divan. Il gravit rapidement les échelons, même si, selon un observateur contemporain, «  son style demeure celui d’un joueur de café, puissant certes, mais sans réelle profondeur  ». Parallèlement à sa carrière de joueur professionnel, il s’installe comme comptable. La vie ne lui fait pas de cadeaux. En 1870, son entreprise fait faillite, et il est ruiné. La même année, il perd son épouse et son père. Suite à l’accumulation de ces malheurs, il disparaît pendant deux longues années. 

L’ouverture Bird  : 1.f4

À 43 ans, Henry Bird fait un retour remarqué au Simpson’s divan. Sa totale dévotion au jeu est alors visible, évidente et absolue. Sa personnalité est transformée, il est comme habité. Un obstacle de taille a néanmoins surgit sur sa route vers les plus grands succès  : ses «  collègues  » ne l’ont pas attendu. Ils se sont bien documentés et excellemment préparés dans les ouvertures. Henry Bird trouve alors un moyen radical de s’adapter  : créer sa propre théorie et, le plus souvent possible, embarquer ses adversaires sur son territoire  ! Ainsi naît notamment l’ouverture Bird  : 1.f4. En toutes circonstances et jusqu’aux dernières années de sa très longue carrière, il se battra comme un lion. 

Pas de partie nulle

À Paris en 1878 et à Wiesbaden en 1880, il gagne ou il perd. Sur l’ensemble des deux épreuves, il dispute 39 parties sans partager une seule fois le point  ! Son extrême combativité effraie même les plus grands joueurs de l’époque. 

Totalement oublié, même dans son propre pays, il meurt en avril 1908. L’écrivain H. G.Wells (La machine à explorer le temps, La Guerre des mondes…) a rendu hommage au champion avec ces superbes mots  : «  Nous révérons Steinitz et Lasker, mais c’est Bird que nous aimons. Ses victoires scintillent et ses défaites sont magnifiques…  » 


Le premier prix de beauté de l’histoire

Henry Edward Bird-James Mason

New-York, 1876. Défense française.

1.e4 e6 2.d4 d5 3.Cc3 Cf6 4.exd5 exd5 5.Cf3 Fd6 6.Fd3 0–0 7.0–0 h6 8.Te1 Cc6 9.Cb5 Fb4 10.c3 Fa5 11.Ca3 Fg4 12.Cc2 Dd7 13.b4 Fb6 14.h3 Fh5 15.Ce3 Tfe8 16.b5 Ce7 17.g4 (pour installer un Cavalier en e5.) 17…Fg6 18.Ce5 Dc8 19.a4 c6 20.bxc6 bxc6 21.Fa3 Ce4 22.Dc2 Cg5 ? ! (22…Fa5 ! ?) 23.Fxe7 Txe7 24.Fxg6 fxg6 25.Dxg6 ? (25.Cxg6 !) 25…Cxh3+ 26.Rh2 Cf4 27.Df5 Ce6 28.Cg2 Dc7 (à partir de cette position, la suite est une série de combinaisons peu correctes, mais tellement imaginatives.) 

29.a5 ? ? (ça commence avec une grosse bourde !) 29…Fxa5 (29…Fxd4 ! ! 30.cxd4 Cxd4 31.Df4 Txe5 ! 32.Txe5 Dxe5 33.Dxe5 Cf3+–+ aurait réfuté le jeu des blancs.) 30.Txa5 Tf8 31.Ta6 ! ! Txf5 32.gxf5 Cd8 33.Cf4 Dc8 (attaque la tour et le pion f5.) 34.Cfg6 Te8 (34…Dxa6 35.Cxe7+) 35.Cxc6 ! ! Dc7+ (35…Txe1 ? ? 36.Cce7+ Rh7 37.Cxc8 gagne.) 36.Cce5 Dxc3 37.Te3 Dd2 38.Rg2 Dxd4 39.f6 ! (les forces blanches vont à présent harceler le roi adverse.) 39…gxf6 40.Txf6 Ce6 41.Tg3 Cg5 42.Cg4 Rg7 (42…Da1 ! 43.Cxh6+ Rg7 44.Tc6 Te1 ! ((44…Rxh6 45.Cf4+=)) 45.Cf5+ Rf7 était bon pour les noirs.) 43.Cf4 ! De4+ 44.Rh2 Ch7 ? (les noirs lâchent prise. 44…d4 tenait.) 45.Ch5+ Rh8 46.Txh6 Dc2 47.Chf6 Te7 48.Rg2 d4 ? ? (voir le diagramme «  Tactique  » et à vous de jouer  !)


Face à Wilhelm Steinitz, champion du monde de 1886 à 1894.

Henry Edward Bird-Wilhelm Steinitz

Londres, 1868. Partie espagnole.

1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 Cf6 4.d4 exd4 5.e5 ! ? Ce4 6.Cxd4 Fe7 7.0–0 Cxd4 (7…0–0 ! ?)  8.Dxd4 (la dame blanche est bien placée au centre.) 8…Cc5 9.f4 b6  ? ! (Steinitz joue pour un piège.) 10.f5 ! Cb3 ? (10…Fb7 était logique et plus sûr.) 11.De4 ! (attaque la tour a8.) 11…Cxa1 12.f6 ! ! (une surprise, au lieu de prendre du matériel, les Blancs attaquent le Roi adverse.) 12…Fc5+ (après : 12…gxf6 13.exf6 Tb8 14.fxe7 Dxe7 15.Te1 ! Dxe4 16.Txe4+ Rf8 ((16…Rd8 17.Fg5+ f6 18.Fxf6#)) 17.Fh6+ Rg8 18.Te8#) 13.Rh1 Tb8 14.e6 ! (14.fxg7 Tg8 15.Dxh7 était aussi très fort. Steinitz abandonne, car après : 14…0–0 ((si  : 14…fxe6 15.Dxe6+ Fe7 16.fxg7 Tf8 17.gxf8T#)) 15.e7 De8 16.Dg4 g6 17.Dh4 Rh8 18.Dh6 Tg8 19.Tf3 d5 20.Fxe8+–) 1–0

Un mignon petit mat «  à l’étouffée  »


Henry Edward Bird-Inconnu

Londres, 1888. Gambit du roi.

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Cf3 g5 4.Cc3 g4 5.Ce5 Dh4+ 6.g3 fxg3 7.Dxg4 g2+ 8.Dxh4 gxh1D 9.Dh5 Fe7 (sur  : 9…Ch6 10.d4 d6 11.Fxh6 dxe5 12.Dxe5++–) 10.Cxf7 Cf6 ? 11.Cd6+ Rd8 12.De8+ Txe8 13.Cf7# 1–0


Le problème du mois

Étude de G. Costeff, 1984.

Position après le 48e coup noir de la partie  : Henry Edward Bird-James Mason, New-York, 1876.

Les blancs jouent et gagnent.

La solution.