Une fillette disparaît dans une fête foraine ; on la retrouve ; mais est-ce bien elle ? Sa mère paniquée a le sentiment confus de ne pas avoir récupéré sa « vraie fille ». Serait-ce possible ? Ou serait-elle folle ? Stéphanie Kalfon impressionne avec ce thriller labyrinthique.
La première phrase du dernier roman de Stéphanie Kalfon : « J’ai perdu ma fille Nina la nuit du 9 novembre 2022, date de son anniversaire. » Qui parle ? Sa mère, Emma, professeure aux beaux-arts et narratrice. Ce jour-là, pour faire plaisir à « la petite », Emma et Paul (le père) l’ont emmené à la fête foraine. Au stand de tir, « Paul se met en tête de remporter le gros lot ». Il tire plusieurs fois, Emma applaudit, mais en se retournant, ils constatent que Nina n’est plus là.
« Je cours, j’appelle, je nage à contre-courant de la foule électrique, je traverse des forêts de bruits, de jambes et de bras hirsutes, des gueules indifférentes ou horrifiées, des visages laids, gras, suintants, avec leurs yeux en forme de boules à facettes. » Police, battue, attente, angoisse (« le seul mot pour décrire ce qui se passe, c’est : épouvantable »), culpabilité (je m’en veux, tout est de ma faute : faire naître quelqu’un, c’est l’exposer au risque de mourir)…
Son odeur, la couleur de ses cheveux… rien ne coïncide
Après une nuit de frayeur, la sonnerie du téléphone : « Paul décroche, ses yeux s’agrafent à la voix du flic, sa bouche grelotte tandis que son visage s’affaisse tel un masque en caoutchouc dont on aurait scié l’élastique. Il pince le coin interne de ses yeux et sourit, je comprends qu’ils ont retrouvé Nina. » Elle a suivi un chaton, s’est perdue, puis s’est abritée dans une sanisette de chantier, dont un ouvrier l’a délivrée.
Fin de l’histoire ? Non, car Emma, enseignante aux Beaux-Arts, attentive aux couleurs, aux formes, aux lumières (« j’ai l’œil »), soupçonne que la petite fille qu’elle retrouve n’est pas sa Nina : son odeur, la couleur de ses cheveux, le grain de beauté, les élastiques qui tiennent les couettes, rien ne coïncide et son « cœur en sa présence ne sourit pas ». On lui a refilé un plagiat. A-t-elle raison ?
Un test ADN positif
Gêne, malaise, défiance. Paul ne veut rien savoir, « esquive les sujets importants… s’accroche à son piano où il s’obstine à revisiter un morceau de Schubert ». Il accepte tout de même d’organiser un test ADN : positif. La mère va même solliciter l’aide de Nina afin de retrouver sa « vraie fille ». Nina accepte, collabore à la fabrication d’une affiche signalant la disparition, puis la seconde pour la diffusion. Pour regagner un peu d’amour de sa mère, Nina est prête à tout, même à se fondre dans la folie d’Emma.
Le lecteur est happé par la profondeur de ce trouble : est-ce un récit fantastique et familier, une « inquiétante étrangeté », pour reprendre une formule freudienne ? Nul doute que le récit est aussi métaphorique : la disparition de Nina est, pour Emma, la première expérience de la séparation. Comme le dit une citation de Vladimir Jankélévitch en exergue du livre : « L’enfant, c’est par définition même que nous le perdons. Nous sommes en train de le perdre, il s’en va, il ne cesse de partir, il est déjà parti. N’est-ce pas la misère de l’amour ? » Peut-être est-ce un roman sur le désamour d’une mère, ou la naissance d’une trahison d’amour, ou les deux…
Des réalités parallèles vertigineuses
Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau est le titre de ce fort roman. C’est donc bien dans son cerveau que sa petite fille a disparu : un traumatisme d’enfance se dévoile, et la médecine posera un diagnostic. Emma se raconte « avec un “je” comme un pinceau ». Un pinceau qui happe et dévore, obsède et hante, et pourtant se délie dans tant de mots d’amour.
Stéphanie Kalfon a élaboré une histoire toute en tension, un thriller psychologique, labyrinthique et troublant. Surtout, elle déploie une multitude de pistes, déplie des réalités parallèles vertigineuses et sème du sens à tout va, à toutes pages. Impossible de lâcher prise dans ce roman électrique !
Stéphanie Kalfon, Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau, Verticales, 2023, 208 pages, 18,50 euros
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