Médecin légiste et romancier, le Franco-Suédois Frasse Mikardsson fascine avec un « true crime » inspiré un fait divers authentique. Sylvia Cagninacci, elle, sonde la noirceur des âmes dans une tragédie corse.
Je crois que j’ai tué ma femme dénonce l’obscénité du féminicide. L’histoire n’est pas factice, avertit l’auteur. En tant que médecin légiste, il a lui-même autopsié la victime. Car Frasse Mikardsson manie autant la plume que le scalpel.
Flash Back. Jean-François Michard, de son vrai nom, est né et a grandi près de Carcassonne. Il a commencé par exercer dans un centre hospitalier francilien avant de s’exiler en Suède. Il y sera naturalisé et y développera son altérité professionnelle. Sa patrie d’adoption lui inspirera aussi son pseudonyme littéraire. Aujourd’hui, Il est directeur adjoint de l’Institut médico-légal de Paris.
Je crois que j’ai tué ma femme, son deuxième roman, relève du true crime. Ce courant, dont De sang froid, de Truman Capote, en 1966, demeure l’archétype, met en récit des crimes réels, empruntant au polar ses techniques narratives. Si des auteurs optent pour une pure transcription des faits, d’autres n’hésitent pas à enrichir leurs écrits, comme c’est le cas ici, d’éléments fictionnels. Le piment de la fiction pour accentuer leur propos…
Un couple d’immigrés kurdes
Fatiha a dénoncé des violences conjugales. Suite à quoi son mari, Ohran, a purgé une peine de prison. Plus tard, on retrouve le corps de la femme lacéré de coups de couteau, le visage mutilé… Les investigations commencent. On s’interroge sur les motivations réelles d’Ohran, meurtrier avéré, qui affirme ne pas se souvenir des circonstances du meurtre.
Selon Frasse Mikardsson, un fait divers n’est jamais anodin. À moins que ce ne soit l’avis de Jean-François Michard, qui aime à répéter que ce qu’il « apprécie beaucoup dans l’autopsie c’est qu’on ne sait jamais quelle va être la cause du décès. On est toujours surpris… » Une dualité de points de vue au service de cette ambiguïté : le crime résulte-t-il d’un moment d’égarement ou a-t-il été prémédité ? Et que signifient les mutilations ?
Questionnement sur le modèle suédois
L’histoire de Fatiha et Ohran, immigrés kurdes, a agité l’opinion publique suédoise en février 2017. Aujourd’hui, tous les recours possibles sont épuisés et le verdict rendu est définitif.
S’appuyant sur les minutes du procès, Frasse Mikardson déroule minutieusement le fil de l’enquête. Il décrit l’effervescence de la police, de la médecine et de la justice dans la quête de la vérité. Pour rendre hommage et honneur à la victime… Le texte est émaillé de comptes rendus d’interrogatoires, d’extraits de procès verbaux officiels, d’échanges de Sms ou d’appels téléphoniques authentiques. Procédé narratif addictif. On suit avec autant d’intérêt les conclusions cliniques de la légiste Sara Israelsson (alter-ego de l’auteur) que celles, retorses, des rapports d’expertise des différents enquêteurs.
Des arcanes de la procédure émergent, par bribes, les portraits douloureux de Fatiha et d’Ohran, leur inexorable glissement vers l’issue fatale. Deux destinées individuelles qui questionnent aussi le modèle prétendument social d’une nation engluée dans une politique de « paperasserie ». Pourquoi est-il si difficile de statuer humainement sur l’intégration de migrants ? De reconnaître la parole bafouée des femmes ?
Tragique accident de chasse
Un autre roman, Des îles et des chiens, raconte aussi la déliquescence d’un couple, la souffrance d’une femme victime d’un homme et des traditions. Ange et Noëlle s’aiment autant qu’ils se détestent. Entre alcoolisme, jalousie, malentendus et poids du passé, ils se détruisent à petit feu. La mort de Dominique, leur jeune fils, va hâter leur déchéance…
Le premier roman de Sylvie Cagninacci n’a rien de consensuel. Il s’ouvre sur l’accident de chasse qui emporte la vie du petit Dominique. La suite est contée du point de vue de l’enfant décédé, fou d’amour pour ses parents, sentinelle du destin dont la voix fantomatique nous emporte jusqu’à une fin déchirante.
Les embûches de l’insularité
Sylvia Cagninacci situe son récit en Corse, berceau de sa famille. Dans une langue magnifiée, elle restitue les odeurs de l’île, la chaleur de ses rochers, la lumière de ses cieux, qui contraste tant avec la noirceur des âmes. En filigrane aussi, les embûches de l’insularité…
Court texte extrêmement sombre, proche de la tragédie – unité de lieu et de temps –, Des îles et des chiens parsème d’irréel et de poésie des tranches de vie, d’amour, de peur et de regret. Là où, de tout brasier, naît l’espérance… Cette originalité lui a valu, à juste titre, le prix Découverte Claude Mesplède 2022.
Frasse Mikardsson, Je crois que j’ai tué ma femme, L’Aube, 2022, 274 pages, 18,50 euros.
Sylvia Cagninacci, Des îles et des chiens, Éditions In8, 2022, 140 pages, 17 euros.
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