Dans « Le Mur grec », de Nicolas Verdan, un policier désabusé déjoue les fausses pistes autour d’un meurtre obsédant, et révèle les sombres calculs politique et mafieux qui se nouent autour des migrants.
Dans « Le Mur grec », de Nicolas Verdan, un policier désabusé déjoue les fausses pistes autour d’un meurtre obsédant, et révèle les sombres calculs politique et mafieux qui se nouent autour des migrants.
Le fleuve Evros marque la frontière entre la Grèce et la Turquie. Une tête sans corps est retrouvée sur la rive hellène. Au mauvais moment, ce matin du 22 décembre 2010. Au mauvais endroit, là où il est urgent de colmater la brèche : 345 % d’immigrés en plus depuis un an ! Bruxelles fait les gros yeux. Normal, cette frontière passoire est aussi celle de l’Union européenne…
« Vous comprenez, agent Evangelos, cette affaire doit forcément être en lien avec les clandestins, quelque chose comme un règlement de comptes… Vous savez bien, Agent Evangelos, il est urgent de construire ce mur de barbelés. » Pas de vagues, le rempart migratoire avant tout. En captant un maximum de subsides européens…
Sinon la justice, la vérité
Evangelos, c’est l’officier de police mandaté pour classer l’affaire. La soixantaine esquintée par les compromissions et les contradictions de son pays. La tête décollée se révèle rapidement sans affinités corporelles avec quelque migrant ou passeur que ce soit. L’agent, lui, va relever sa propre tête, chercher la vérité, à défaut de faire régner la moindre justice…
Evangelos, c’est un homme banal, aux souvenirs brinquebalants. Un flic que l’injustice révulse, dont le trop plein d’humanisme déborde au seuil de la retraite. Evangelos, c’est le porte-parole de Nicolas Verdan, journaliste et romancier suisse francophone, né de mère grecque – le détail a son importance –, qui ausculte le naufrage d’une nation qu’il aime et qui saigne. « Je ne dénonce pas, je rends compte », déclare-t-il.
Spéculation sur les rouleaux de barbelés
En attendant le mur providentiel, la danse macabre bat son plein. Les migrants s’engluent dans des méandres administratifs. Les rues d’Athènes s’embrasent de sursauts populaires. Des pontes de la Frontex, l’agence européenne chargée de la surveillance des frontières, exploitent des filles venues de l’Est. Des hommes d’affaires spéculent sur les futurs barbelés ou sur des ventes d’armes, arrosant à tout-va les partis politiques… Au-dessus de la puanteur, Evangelos avance, guidé par une étoile inaltérable. Quoi de plus symbolique, pour éclairer l’horizon de son pays, que la naissance d’un enfant ? Et sa petite fille a vu le jour le matin même du meurtre…
Polar politique habité, Le Mur grec séduit par ses aspects métaphysiques, sa prose poétique, proche de Faulkner, que l’auteur adule. Au risque, parfois, que la touffeur de l’écriture nuise à la fluidité du récit. Mais l’atmosphère baroque prend le dessus, en un étourdissant roman incantatoire, dense et perturbant…
Jim Nisbet (1947-2022), original et marginal
L’écrivain américain Jim Nisbet, décédé en septembre 2022, revendiquait également Faulkner parmi ses influences. Inconnu du grand public, cet esthète citait aussi volontiers Stendhal, Dostoïevski, et Proust. Son phrasé sophistiqué, son esprit acéré et ses connaissances étendues dans maints domaines culturels ont contribué à forger une image de créateur marginal. Une sorte d’anarchiste moraliste, dont l’originalité n’a guère d’équivalent dans le roman noir.
Jean-Pierre Deloux, exégète éclairé de ce trublion littéraire, évoque un romancier « fasciné par l’anormal, l’étrange, le saugrenu, la part d’ombre que l’on peut croire non humaine dans chacun d’entre nous, mais qu’il nous désigne clairement comme étant justement une part non négligeable de notre humanité ».
Humour noir et horreur pure
À carrière insolite, parcours éditorial chaotique. La France fut la vraie – la seule ? – patrie de reconnaissance de son œuvre à part. Certains de ses romans y furent traduits avant de connaître une tardive sortie américaine. D’autres, disponibles en français, restent inédits en anglais… Une frilosité qui en dit long sur la résonance de textes transgressifs, entre ironie mordante et désespoir serein…
Un des plus emblématiques, Prélude à un cri (1997) campe un alcoolique vaniteux et suicidaire, accroc aux prostituées. Après une nuit passée avec une de ses « conquêtes », il se réveille dans un sac de couchage, allongé sur la pelouse d’un parc… avec un rein manquant… Moult péripéties vont s’ensuivre, entre humour noir et horreur pure, personnages féroces (mention spéciale à un chirurgien totalement barré !) et écriture survoltée. Derrière le trafic d’organes au cœur du récit percent la métaphore d’un libéralisme effréné autant qu’une sombre réflexion sur la nature humaine…
Jim Nisbet aimait plus que tout pervertir le formalisme du polar. Si Prélude à un cri en témoigne de belle manière, tous ses autres titres, de la même eau, sont à découvrir ou relire…
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