Accidents suspects, assassinats… La détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera voit son entourage mystérieusement décimé. Et riposte, avec les femmes du quartier. Dans un style toujours pétillant, Michèle Pedinielli confirme son statut de fine observatrice des âmes perdues.
Daniel Lehman – appelez-le Dan – est retrouvé en piètre état dans la galerie d’art qu’il dirige. Traumatisme crânien. Tombé d’une échelle ? De ses bandages, n’émerge qu’un seul œil, désespérément clos…
C’est déjà la cinquième incursion de Ghjulia Boccanera – appelez-là Diou – dans notre imaginaire. Les premières lignes de Un seul œil nous la restituent, désemparée, telle qu’on l’a abandonnée, l’esprit en miettes, le nôtre au diapason, à la fin de Sans collier. Dans un hôpital de malheur, où elle tremble. Pas parce qu’elle a froid… Dan, son coloc, son âme sœur pour l’éternité, est à l’article de la mort. Embrasser cette paupière, ne pas pleurer et comprendre. L’échelle a bon dos. Qui a fait cela et pourquoi ?
Insomnies chroniques et cafetière en surchauffe
Après Dan, c’est un autre de ses proches qui est visé. La nouvelle compagne de Jo, son ex – et néanmoins flic émérite – pour qui son cœur persiste à palpiter, est abattue de deux balles dans le thorax. Pas de doute, un prédateur s’en prend à son entourage. Aurait-elle le mauvais… œil ?
Inoxydable Diou, avec ses insomnies chroniques et sa cafetière en surchauffe. Qu’importe son corps grinçant (haro sur la ménopause !), pourvu qu’il coltine durablement ses saines révoltes. La privée quinqua, à l’humour ravageur, reste droite dans ses Dr. Martens, qui bottent allégrement l’arrière-train des préjugés et des injustices. Frondeuse, encore. Craquante, toujours… Lorsque son monde se fissure, sa rage fait front. Pour protéger son clan, sa chair…
Nice, écrin des intrigues
Michèle Pedinielli signe ici son opus le plus sombre, le plus poignant aussi, hanté par l’omniprésence de la mort. Providentielles, des nappes de résilience et d’espoir nous capturent. L’ombre et la lumière se répondent en permanence. On passe du rire aux larmes – la marque de fabrique de l’autrice – et on reste confondu par la cohérence d’un univers qu’elle enrichit, volume après volume, de ses touches et obsessions personnelles.
Ainsi Nice, écrin de ses intrigues, qu’elle décrit méticuleusement défigurée par les grues et les pelleteuses des carnassiers immobiliers. Sans parler d’une vidéosurveillance fétide, développée à outrance. De quoi alimenter la hargne de Diou…
Délicieux seconds rôles
Et la partition récurrente des personnages secondaires, loin d’être relégués au rang de figurants. Les habitants de son quartier, d’abord. Mais des femmes, surtout. Chez Michèle Pedinielli, les mecs sont à la ramasse. Là, c’est Jo qui décroche le pompon. Heureusement qu’elles assurent. Parmi celles, tellement vivantes, qui l’accompagnent sur les sentes de la vérité, il y a Antoinette, la belle-sœur cabossée et fantasque, Klara et Damar, les indéfectibles copines suédoises, et Romy, la reine du speakeasy de la mode. Jusqu’à un toutou, forcément femelle, dont le rôle se révélera capital…
L’écriture vive et espiègle convoque aussi bien un collègue de papier – le napolitain commissaire Soneri, héros du romancier Valerio Varesi – que des clins d’œil à la pop culture. En des phrases bien senties, Pier Paolo Pasolini côtoie Terence Hill, et Michel Sardou voisine avec The Velvet Underground. Rien d’erratique. Juste l’expression d’une plume accorte, qui nous kidnappe, sourire aux lèvres, avec une précision émotionnelle rare.
Dan, du fond de son coma, s’adresse au lecteur
Le must ? La prosopopée, cet art par lequel on fait s’exprimer un absent ou un disparu. Dan, du fond de son coma, s’adresse régulièrement au lecteur. Il égrène son passé, ses amours, ses emmerdes. On y découvre ses blessures intimes, sa relation toxique avec son amant William. Et, par delà, la naissance de ses liens avec Diou… Ce fleuve tumultueux d’amours, d’amitiés et de regrets chahute et enivre. Mieux encore, il nous livre des éléments que Diou elle-même n’aura pas…
Dans la droite ligne de ses titres précédents – à lire impérativement dans leur ordre de parution –, Michèle Pedinielli affine le théâtre sensible de sa tragi-comédie humaineet confirme son statut de fine observatrice des âmes perdues.
Un jour, nous rallumerons les étoiles, puisqu’elles sont à tout le monde nécessaires. Toi aussi, Diou, toi aussi…
Un recueil de nouvelles sur le dérèglement climatique
Bonne surprise, on retrouve Michèle Pedinielli au sommaire du recueil Noires Saisons. Dans le format court aussi, son humanisme nous cueille, son style inimitable pétille.
Le pari éditorial est audacieux. Pas seulement parce qu’il ressort du territoire si mal aimé de la nouvelle. Il surprend aussi par son personnage principal, résolument insolite : le dérèglement climatique.
Quatre autrices francophones – deux Québécoises (Ariane Gélinas et Maureen Martineau), une Suisse (Corinne Jaquet) et une Française (Michèle Pedinielli, donc) – ont chacune rédigé trois textes, inscrits dans les quatre saisons de l’année. Et accepté deux contraintes : primo, planter le récit dans une nature sauvage ou peu peuplée – milieu rural, montagne, région lacustre… – ; secundo, prendre comme protagonistes des criminelles, dont les projets ou les actes sont percutés par des désordres environnementaux.
Le soleil peine à briller
Le voyage, pas de tout repos, a du souffle. Rares sont les pages où un lac qui se vide et la fonte d’un glacier nous étreignent. Des destins s’emballent, éclatent. Le soleil, lui, peine à briller. Et pour combien de temps encore ?
Quatre guerrières, chacune de leur noire manière, tirent une sonnette d’alarme écologique. Par les (mauvais) temps qui courent, si on les écoutait ?
Michèle Pedinielli, Un seul œil, L’Aube, 2025, 278 pages, 18,90 euros. En poche chez le même éditeur : Boccanera (2018), Après les chiens (2019), La patience de l’immortelle (2021), Sans collier (2023).
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