Échecs – Frederick Yates, laborieuse carrière et triste fin

Excellent à domicile, mais poussif en compétition internationale, l’Anglais en remontra néanmoins plus d’une fois à certains des meilleurs joueurs du monde. Sa disparition dramatique, en 1932, reste nimbée de mystère.

Édition 065 de mi-février 2025 [Sommaire]

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Pièces d’échecs noires © Deva Darshan/Pexels

Frederick Dewhirst Yates naquit le 16 janvier 1884 à Birstall, une petite ville près de Bradford, dans le West Yorkshire en Angleterre. Sa famille n’ayant que peu de moyens financiers, il quitta l’école dès l’âge de 15 ans. Après avoir travaillé comme mécanicien dans une filature, il devint comptable, mais sa grande passion, c’était l’échiquier. En 1909, suite à l’obtention du titre de champion du Yorkshire, il décida de vivre de la compétition échiquéenne. Dans la foulée, il gagna son premier titre de champion de Grande-Bretagne. Au total, il devait en remporter six (1913, 1914, 1921, 1926, 1928 et 1931) . 

Premiers pas internationaux 

En 1910, il fut invité à disputer, à Hambourg, son premier grand tournoi international. L’Allemand Siegbert Tarrasch, un des meilleurs joueurs du monde, s’était pourtant opposé à son invitation, jugeant le jeune Anglais beaucoup trop faible. Avec 2,5 points en 16 parties, Yates termina effectivement à la dernière place, mais, en battant Tarrasch, il se consola de l’affront  !

La carrière de Yates fut laborieuse. Il brillait en Grande-Bretagne, mais enchaînait les contre-performances dans les compétitions internationales. Son meilleur résultat fut une 5e place à San Remo (Italie) en 1930, un tournoi qui avait réuni seize maîtres. 

Un joueur très dangereux

Néanmoins, Yates en remontra plus d’une fois aux meilleurs joueurs de son temps. Au cours de sa carrière, à deux reprises, il est parvenu à battre le Franco-Russe Alexander Alekhine, un génie du jeu qui fut champion du monde en 1927, 1929, 1934 et 1937. Il a également battu le Slovène Milan Vidmar, le Polonais Akiba Rubinstein et le Néerlandais Max Euwe, champion du monde en 1935. Il avait la réputation d’être extrêmement accrocheur  ; tant que subsistait un espoir, il se battait. 

Endetté jusqu’au cou et seul

Un soir de novembre 1932, à son domicile, il fut retrouvé mort par la police, asphyxié au gaz. Fuite accidentelle ou suicide  ? On ne sait. Il était sans le sou et avait accumulé des dettes et des loyers de retard. Une souscription publique fut lancée par le British Chess Magazine pour éponger son passif et financer ses funérailles. Il n’avait que 48 ans.


Une victoire particulièrement sucrée

Siegbert Tarrasch-Frederick Dewhirst Yates

Tournoi de Hambourg (Allemagne), 1910. Gambit dame.

1.d4 d5 2.Cf3 Cf6 3.c4 e6 4.e3 Fe7 5.Cc3 c5 6.Fd3 Cc6 7.0–0 0–0 8.b3 b6 9.Fb2 Fb7 10.Tc1 Tc8 11.cxd5 Cxd5 12.Ce2 cxd4 13.Cexd4 Cxd4 14.Cxd4 Txc1 15.Dxc1 Fd6 16.Cf3 De7 17.Da1 f6 18.Cd4 f5 19.Tc1 Cxe3 ! ! 20.fxe3 Dg5 21.Rf2 (le roi blanc est obligé de s’aventurer vers le centre, sur : 21.Ff1 Dxe3+ 22.Rh1 Df4 23.Rg1 ((23.Cf3 Fxf3–+)) 23…Dxh2+ 24.Rf2 Dg3+ 25.Re2 Ff4 gagne rapidement.) 21…Dxg2+ 22.Re1 Fxh2 23.Fe2 e5 24.Ce6 Fg3+ 25.Rd1 Ff3 ! 26.Fxf3 (26.Tc2 ? ? Df1+ –+) 26…Dxf3+ 27.Rc2 De4+ 28.Rd2 Dd5+ 29.Cd4 exd4 30.Fxd4 f4 31.e4 Dxe4 32.Tc4 Td8 33.a4 Ff2 (il n’y a plus de défense, Tarrasch abandonne.) 0–1


Alexander Alekhine-Frederick Dewhirst Yates

Tournoi de Karlsbad (Tchécoslovaquie), 1923. Défense est-indienne.

1.d4 Cf6 2.c4 g6 (le champion anglais fut l’un des pionniers de cette défense.) 3.g3 Fg7 4.Fg2 0–0 5.Cc3 d6 6.Cf3 Cc6 7.d5 Cb8 (on peut aussi jouer 7…Ca5. Yates veut recycler son cavalier en c5 via la case a6 ou d7.) 8.0–0 Cbd7 9.e4 a5 10.Fe3 Cg4 11.Fd4 Cge5 12.Cxe5 Cxe5 13.c5 (13.b3 était plus naturel.) 13…dxc5 14.Fxc5 b6 15.Fd4 Fa6 (toutes les pièces mineures noires sont actives.) 16.Te1 Dd6 17.Ff1 Fxf1 18.Txf1 c5 19.Fxe5 (Alekhine doit se résoudre à l’échange d’un fou important, car sur : 19.dxc6 ? Dxd4 20.Dxd4 Cf3+ gagne une pièce.) 19…Dxe5 20.Db3 Tab8 21.Db5 f5 ! 22.Tae1 (si : 22.exf5 Dxf5 23.Tae1 Fd4 les noirs sont mieux.) 22…f4 ! 23.Dd7 Tbd8 24.gxf4 Dxf4 25.De6+ Rh8 26.f3 (et non pas : 26.Dxe7 ? ? Fe5–+) 26…Dg5+ 27.Rh1 (sur : 27.Dg4 Dd2 28.Te2 Dd3 est très désagréable.) 27…Td6 28.Dh3 Fe5 ! 29.Te2 Tdf6 30.Cd1 Tf4 31.Ce3 Th4 32.De6 Dh5 (attaque h2 et f3) 33.Cg4

(voir diagramme)

33…Txg4 ! (afin d’attirer le Roi blanc en zone dangereuse, Yates sacrifie une qualité.) 34.fxg4 Txf1+ 35.Rg2 Dxh2+ 36.Rxf1 Dh1+ 37.Rf2 Fd4+ 38.Rg3 Dg1+ 39.Rh3 Df1+ 40.Tg2 Dh1+ 41.Rg3 De1+ 42.Rh3 g5 ! (menace mat en h4, la position blanche est très difficile à défendre.) 43.Tc2 Df1+ 44.Rh2 (si : 44.Tg2 ? Dh1+ 45.Rg3 De1+ 46.Rf3 ((46.Rh2 Dh4#)) 46…De3#) 44…Dg1+ 45.Rh3 Dh1+ 46.Rg3 Dd1 ! (la tour n’a plus de bonne case.) 47.Tc3 (sur : 47.Tg2 De1+–+. Et sur : 47.Df7 Fe5+ 48.Rg2 ((48.Rh3 Dh1+ 49.Th2 Dxh2#)) 48…Dxc2+–+) 47…Dg1+ 48.Rh3 Df1+ 49.Rg3 Ff2+ ! 50.Rf3 Fg1+ (Alekhine abandonne, la suite serait : 51.Rg3 Df2+ 52.Rh3 Dh2#) 0–1


Le problème du mois

Étude de I. Bondar, 1989.

Les blancs jouent et gagnent.

La solution.