#Metoo santé : à Toulouse, les syndicats font échec à l’arrivée d’un interne condamné pour agressions sexuelles

C’est par la mobilisation et un préavis de grève que les syndicats du CHU sont parvenus à barrer la route d’un agresseur. Une première victoire qui s’inscrit dans un mouvement initié par des étudiantes et des étudiants en médecine.

Édition 063 de mi-janvier 2025 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
A l’hôpital, quatre étudiantes et étudiants sur dix sont victimes de harcèlement ou d’humiliations sexistes. © IP3 PRESS/MAXPPP

Quand son arrivée a été annoncée au centre hospitalier universitaire (Chu) de Toulouse à l’automne 2024, l’interne Nicolas W. avait déjà un long passif. Deux ans plus tôt, les murs des facultés de médecine de Tours et de Limoges avaient alors vu apparaître des affiches féministes  : «  Aujourd’hui ton violeur, demain ton docteur  !  » criaient-elles pour briser le silence des institutions. Sans que son prénom ne soit encore rendu public, c’était Nicolas W. qui était visé.

Prévenus de son arrivée par des internes, les syndicats CGT et Sud Santé du Chu font savoir à leur direction qu’ils refusent de l’accueillir et de mettre en péril la sécurité des personnels et des patientes. Le 19 octobre, les deux syndicats organisent un rassemblement de protestation, déposent un préavis de grève et menacent d’exercer leur droit de retrait.

Deux condamnations mais pas de procédure disciplinaire

En 2020, à Tours, plusieurs jeunes femmes avaient porté plainte contre Nicolas W. pour viols et agressions sexuelles. Transféré à Limoges, l’interne avait effectué un stage en gynécologie, puis dans d’autres services. Une intense mobilisation avait alors commencé, à l’initiative du collectif étudiant Emma Auclert, créé pour dénoncer cette situation.

En 2023, Nicolas W. est condamné par une juge des enfants à quatre mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles. Puis, en mars 2024, le tribunal de Tours le condamne à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur deux étudiantes, après qu’il a reconnu les faits. Il est également soumis à une obligation de soins et inscrit au Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Le parquet a fait appel, jugeant la peine trop faible.

Malgré ces deux condamnations, l’étudiant n’est à aucun moment tenu de s’expliquer devant une commission disciplinaire universitaire. Suspendu par la directrice du Chu de Limoges, le tribunal administratif l’avait réintégré, considérant que les faits dont il s’était rendu coupable avaient eu lieu dans un cadre privé et que sa présence n’était pas de nature à compromettre le bon fonctionnement du service d’oncologie médicale dans lequel il devrait travailler.

De Limoges à Paris, la mobilisation s’amplifie

Le 16 mai 2024, un rassemblement de protestation est organisé à Limoges à l’initiative de collectifs féministes, d’organisations étudiantes, de la Cgt et de la Cfdt de l’hôpital. Une lettre ouverte du collectif Emma Auclert, cosignée par 26 organisations, est envoyée aux ministres de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du Travail, de la Justice, ainsi qu’aux députés, sénateurs, directeurs d’agences régionales de santé, recteurs, et au président de l’Ordre des médecins. 

La pétition qui en émane recueille 30 000 signatures. Elle dénonce un silence coupable  : «  Tout le monde s’offusque de la présence d’un agresseur sexuel sur les bancs d’une fac de médecine. Personne ne fait rien.  » Et pose différentes questions, dont celle-ci  : «  Pourquoi ne pas informer les soignants de la présence de celui-ci et leur donner une chance d’exercer leur droit de retrait  ?  »

Rassemblement devant le ministère de la Santé

Ce collectif demande notamment la mise en place d’un plan de prévention et sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles (Vss), des formations obligatoires, des dispositifs de signalement opérants, de la protection fonctionnelle pour celles et ceux qui dénoncent des violences, une obligation d’informer les instances des personnels des établissements de santé et des conseils des universités sur les actes de Vss, un véritable accompagnement psychologique, médical et juridique des victimes, l’interdiction de déplacer une personne victime en l’absence d’une demande explicite de sa part.

Le 29 mai 2024, un rassemblement a lieu à Paris devant le ministère de la Santé. Il décrit un climat de violences généralisées : quatre étudiantes et étudiants sur dix subissent du harcèlement à l’hôpital ; bizutages et humiliations sexistes sont encore souvent tolérés par les directions d’hôpital. Un #Metoo santé semble enfin éclater, notamment suite à la prise de parole de l’infectiologue Karine Lacombe, qui accuse l’urgentiste Patrick Pelloux de harcèlement moral et sexuel. Celui-ci conteste en se justifiant par un comportement « grivois » qui serait « infaisable aujourd’hui ». Le ministère s’engage alors à présenter un plan national de prévention et de lutte contre les Vss « d’ici la fin de l’été ».

Préavis de grève à Toulouse

Devenu interne, Nicolas W. est affecté au Chu de Toulouse. Prévenus de son arrivée par des internes, les syndicats Cgt et Sud-Santé font savoir à leur direction qu’ils refusent de l’accueillir et de mettre en péril la sécurité des personnels et des patientes. Le 19 octobre, les deux syndicats organisent un rassemblement de protestation, déposent un préavis de grève et menacent d’exercer leur droit de retrait.

Le 23 octobre, l’agence régionale de Santé (Ars) d’Occitanie annonce qu’elle suspend l’affectation de Nicolas W. «  pendant toute la durée des procédures pénales et disciplinaires engagées à son encontre  ». Cette fois le tribunal administratif de Toulouse confirme la suspension «  jusqu’à la fin des procédures pénale et disciplinaire engagées  ». En effet, justifie le tribunal administratif, cette affectation «  engendre des troubles dans ces services et l’annonce d’actions par les personnels tels qu’ils sont de nature à compromettre le bon fonctionnement et la continuité du service public hospitalier  ».

Une stratégie syndicale validée par la justice

«  Ce qui a fait basculer les choses, ce n’est pas le fait que cet interne risque d’agresser des collègues et des patientes mais qu’une grève risque de désorganiser l’hôpital  », souligne Julien Terrié, secrétaire de la Cgt du Chu de Toulouse. Conclusion  ? Cette décision de justice démontre qu’«  on peut utiliser la grève comme un élément de lutte contre les Vss  ». C’est une façon de «  montrer l’imbrication entre lutte des classes et féminisme  »

Si la cour d’appel d’Orléans décide d’une inscription au casier judiciaire, l’interne ne pourra pas continuer ses études de médecine. Et quand bien même il le pourrait, «  la décision de suspension de l’Ars court toujours. Et on déposerait à nouveau un préavis de grève  », explique Julien Terrié. Dans tous les cas, l’Ordre des médecins s’est engagé en octobre 2024 à refuser l’adhésion de Nicolas W., de même que celle de tout auteur de Vss reconnu coupable. Sans cette inscription, l’exercice de la médecine est impossible sur le territoire français.

Cette mobilisation, qui a nécessité la coordination de réseaux militants de villes différentes, rappelle également la nécessité d’un dispositif pour que les personnes inscrites au Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ne puissent pas accéder aux professions médicales. 

Rendre enfin opérant le traitement des Vss

Plus globalement, cette situation pose une nouvelle fois la question du traitement des violences sexistes et sexuelles et notamment celle de «  l’accompagnement des encadrants et des directions appelés à traiter ces situations  », interpelle Ophélie Labelle du collectif Femmes-Mixité de l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres, techniciens (Ufmict-Cgt). Destinées à recevoir les signalements de harcèlement et de discriminations, les cellules de signalement sont encore trop souvent «  de grosses coquilles vides  », déplore-t-elle. 

Souvent, les Drh font partie de cette cellule mais pas les représentants de la F3sct. Or, leur présence serait «  nécessaire pour une vraie neutralité dans la gestion des dossiers  ». Ophélie Labelle s’inquiète également du manque de formation  : en l’absence d’une bonne connaissance du traitement des Vss au travail, le risque est que «  tout le monde se renvoie la balle, on ne traite pas, et on fait bouger la victime  ».

Dans la fonction publique, une mesure conservatoire peut être mise en place. Elle permet que l’agresseur présumé soit mis en retrait le temps de l’enquête administrative. La victime peut quant à elle bénéficier de la protection fonctionnelle. Plus fréquente qu’auparavant, cette mesure est cependant encore loin d’être systématique. Ainsi, à Lyon, Raja Hachemi, secrétaire générale de la Cgt à Édouard-Herriot, dénonce le fait que la direction ait répondu à un signalement par un placement en congé d’invalidité temporaire imputable au service pour la victime présumée. L’auteur présumé n’a quant à lui fait l’objet d’aucune mesure conservatoire.

Arrêter les confrontations

D’autres graves impairs sont régulièrement commis dans le traitement des signalements. Par exemple, l’organisation d’une confrontation entre la victime et l’agresseur présumé. Ce fut le cas au Chu de Toulouse, où la direction a reçu un rappel à l’ordre de l’inspection du travail qui qualifie dans un courrier ce choix d’«  inadéquat  » et d’«  inconséquent  ». En effet, une telle confrontation «  place les personnes (auteur/autrice présumé·e et victime présumée) dans une situation d’équivalence, les renvoyant au statut de protagonistes d’un différend interpersonnel, de parole contre parole  ». 

Cette confrontation remet «  en doute et en cause  » la parole de la victime présumée, et «  l’expose à de nouveaux agissements et à une intimidation  ». Le guide Lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique paru en novembre 2022 déconseille cette pratique et recommande au contraire d’«  auditionner les personnes de manière individuelle en évitant les confrontations entre victimes et auteurs présumés  ».

Un Collectif contre les Vss dans la santé et une enquête en ligne

Depuis septembre 2024, l’Ufmict fait partie du collectif contre les violences sexistes et sexuelles en santé, qui rassemble «  des organisations étudiantes, de patient·es et de professionnel·les de santé, féministes et organisations syndicales  », dans le but de «  revendiquer un grand plan de lutte contre les Vss en santé  ». Infirmières et infirmiers sont également appelés à répondre à une enquête de l’Ufmict sur leurs conditions de travail.

La suspension de Nicolas W. est une victoire, mais elle rappelle aussi que le combat est loin d’être terminé. La mobilisation du droit de grève montre l’intérêt des armes syndicales dans le combat pour la protection des soignantes, soignants, patientes et patients.

Lucie Tourette