Jaloux de leur rente, des labos ont menacé de baisser le rideau
Programmées par les directions pour protester contre une révision tarifaire de l’assurance maladie qui rognerait leurs marges, ces fermetures, annoncées à partir du 23 décembre, seront finalement de moins grande ampleur que prévu. Les syndicats patronaux ont en effet obtenu gain de cause le 20 décembre. Une manoeuvre qui en dit long sur un système de solidarité dévoyé par les intérêts privés.
Essayez de prendre rendez-vous pour une prise de sang entre le 23 et le 31 décembre… Ce pourrait être impossible dans de nombreux laboratoires, aux quatre coins de la France. L’intersyndicale des employeurs du secteur a en effet appelé ses membres à baisser le rideau la dernière semaine de l’année.
Pour prévenir les patients, des affiches avaient parfois été placardées sur la porte ou dans la salle d’attente. Elles reprenaient les codes graphiques du syndicalisme – un mégaphone, un texte écrit sur fond rouge : « Shutdown. Les décisions de l’Assurance maladie mettent en danger votre santé ! » Explication : « Le budget annuel pour vos remboursements d’analyses est insuffisant et sera épuisé avant la fin de l’année. Votre biologiste est donc contraint de procéder à une fermeture temporaire du 23 au 31 décembre 2024. »
Elles ont cependant été enlevées le 20 décembre suite à la signature d’un accord entre l’Assurance Maladie et trois syndicats de biologistes médicaux (le Syndicat des biologistes, le Syndicat national des médecins biologistes et le Syndicat des laboratoires de biologie clinique), qui revient sur la volonté initiale de la Cnam de baisser la tarification de certains actes, face notamment à une augmentation du nombre d’analyses.
Pour le patronat, une mesure « particulièrement injuste »
Aux États-Unis, le terme shutdown désigne un arrêt des activités gouvernementales. Lorsque le budget n’est pas voté par le Congrès, l’administration fédérale cesse de payer les agents. Seuls certains services d’urgence continuent à fonctionner.
Dans leur communiqué du 29 octobre 2024, les organisations patronales des laboratoires de biologie médicale reprenaient ce terme sans équivalent en France pour accuser l’Assurance maladie d’« imposer unilatéralement des baisses tarifaires, sans consultations ni dialogue avec les syndicats professionnels », une mesure « particulièrement injuste ». Selon elles, « l’enveloppe de financement annuelle dédiée à la biologie médicale par l’Assurance maladie est désormais insuffisante pour couvrir les besoins de la population française toute l’année. » Elles auront finalement obtenu gain de cause.
Pour la Cnam, des « contrevérités manifestes »
Le 29 octobre, la Cnam avait répondu à ce communiqué des directions de laboratoires pour « dénoncer vigoureusement cette présentation tronquée de la situation et des contrevérités manifestes », expliquant qu’il n’« existe pas d’enveloppe » qui limiterait les dépenses médicales en France, que tous les examens et analyses seraient pris en charge dans les conditions habituelles « tout au long de l’année 2024 et au-delà ». Pour la Cnam, ces fermetures étaient donc injustifiées.
Certes, un protocole pluriannuel 2024-2026 avait bien été signé, qui prévoyait de baisser la somme remboursée aux laboratoires pour certains actes, mais pas la prise en charge des analyses prescrites aux patients. En clair : les profits des laboratoires allaient baisser, mais pas les remboursements des patients par la Sécurité sociale. L’accord signé le 20 décembre entre la Cnam et trois syndicats de biologistes accède aux demandes des directions en revenant sur les baisses tarifaires prévues.
Un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros
Biogroup-Lcd, Cerballiance, Inovie, Synlab, Eurofins, Unilabs : les six groupes internationaux qui possèdent la plupart des laboratoires de biologie médicale en France sont particulièrement rentables. En 2021, le secteur déclarait un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros. Un rapport de la commission des Affaires sociales du Sénat décrit untaux de rentabilité de 23 % en 2021 pour un secteur considéré comme un « investissement sûr, du fait de l’accroissement continu de la demande en soins et du haut niveau de socialisation de la dépense ».
Une enquête de l’émission Cash Investigation le démontrait en février 2024 : « En 2020, le chiffre d’affaires des six géants du secteur a bondi de 85 % : près de 7 milliards d’euros payés intégralement par la Sécurité sociale. » Interviewé par Élise Lucet, l’ancien ministre de la Santé François Braun y confirmait qu’avec « l’argent de la Sécurité sociale, il y a eu des bénéfices hors normes ». Or, « l’argent de la Sécu, c’est l’argent des Français. » Il disait alors vouloir « remettre les pendules à l’heure après le Covid » etévoquait des échanges « plutôt vifs » avec les directions des laboratoires.
La Cgt dénonce cette « façon de s’enrichir »
Côté salariés, « nous sommes favorables à la reprise en main des dépenses de la Cnam », affirme Murielle Morand, secrétaire fédérale en charge de la branche des laboratoires de biologie médicale extrahospitaliers au sein de la Fédération nationale des industries chimiques Cgt (Fnic-Cgt). La Fnic « dénonce cette façon de s’enrichir au détriment de la santé des citoyens ». Pour la fédération, ces laboratoires « ne devraient même pas exister, ils devraient faire partie de services publics. »
Juridiquement, ce n’est pas une « grève »
Depuis 2022, il y a eu plusieurs épisodes de fermetures temporaires pour s’opposer aux décisions gouvernementales. Pour qualifier ces fermetures, les organisations patronales ont à plusieurs reprises parlé de « grève ». Mais des employeurs peuvent-ils faire grève ? Non, répond catégoriquement Michel Miné, avocat et titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne au Conservatoire national des arts et métiers : « Des organisations patronales peuvent décider d’une interruption de travail, mais, juridiquement, cette mesure de gestion ne pourra pas être qualifiée de grève ». En effet, la loi « fixe les règles du jeu concernant les grèves de travailleurs, mais les employeurs ne se sont pas vus reconnaître par la loi un droit de grève ».
Muriel Morand, de la Fnic, dénonce ces action des directions qui ont « utilisé les travailleurs pour faire pression sur la Cnam ». Ces menaces de fermeture ont permis de défendre des profits à deux chiffres mais elles ne doivent pas faire oublier les vraies grèves de salariés qui ont régulièrement lieu dans ces laboratoires contre la dégradation des conditions de travail.
Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience lorsque vous naviguez sur le site web. Parmi ces cookies, les cookies classés comme nécessaires sont stockés sur votre navigateur car ils sont essentiels au fonctionnement de fonctionnalité...
Les cookies nécessaires sont absolument essentiels pour que le site web fonctionne correctement. Cette catégorie ne contient que des cookies qui garantissent les fonctionnalités de base et les fonctionnalités de sécurité du site web.
Ces cookies ne stockent aucune information personnelle.
Les cookies déposés via les services de partage de vidéo ont pour finalité de permettre à l’utilisateur de visionner directement sur le site le contenu multimédia.
Ces cookies nous permettent d’obtenir des statistiques de fréquentation de notre site (ex : nombre de visites, pages les plus consultées, etc.).
Toutes les informations recueillies par ces cookies sont anonymes.