Échecs – La croisade de Vladimir Kramnik

Il a eu son heure de gloire en ravissant le titre de champion du monde à Garry Kasparov, et l’a conservé sept ans. Mais depuis le début des années 2020, le grand maître russe, désormais retraité, traque les tricheurs sur Internet. Avec une méthode qui s’est révélée assez faillible.

Édition 061 de [Sommaire]

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Pièces d’échecs noires © Deva Darshan/Pexels

Tous partagent cet avis  : Vladimir Kramnik est le plus grand champion du monde de l’histoire… Il mesure 1,95 mètre  ! Plus sérieusement, en 2000, il a battu Garry Kasparov lors d’un match en 16 parties pour le titre mondial. Il a conservé son titre jusqu’en 2007. En 2019, l’immense champion russe a mis fin à sa carrière de joueur professionnel. 

Désormais, il s’amuse en participant, occasionnellement, à des tournois de parties rapides et en blitz, et il entraîne de jeunes talents. Ces dernières années, il est parti en croisade contre la triche, surtout celle qui pourrait polluer les compétitions disputées sur Internet. Il a dénoncé environ 200 personnes de «  surperformer  » dans des compétitions sur la Toile. Il observe et analyse les résultats avec son propre modèle mathématique, et en tire des conclusions. D’après lui, les statistiques ne peuvent mentir. 

Des tricheurs ou des victimes  ?

Il s’est notamment attaqué à l’Américain Hikaru Nakamura, qui a enchaîné 45 victoires d’affilée contre des internautes de divers niveaux. «  Statistiquement, il est impossible de réaliser un tel résultat  », a estimé Kramnik, qui a aussitôt précisé  : «  Que cela soit bien clair, ce n’est pas moi qui accuse Hikaru de tricher, mais les mathématiques.  »

À 36 ans, Nakamura est actuellement n°3 mondial et gagne énormément grâce à sa plateforme internet suivie par des millions d’abonnés. Pourquoi donc prendrait-il le risque de tricher et de ruiner sa réputation dans des parties qui n’ont strictement aucune importance  ? Il a fait le choix d’ignorer les propos de Kramnik, ou de s’en amuser. 

José accusé, José humilié, mais José vengé…

Vladimir Kramnik a également pointé du doigt les performances de José Martinez sur Internet. Ce Péruvien de 25 ans est classé autour de la 150e place mondiale en cadence lente. Mais en cadence très rapide, sur Internet, il a battu les meilleurs, dont le n°1 mondial Magnus Carlsen. Jouant sur Internet depuis son adolescence, José Martinez a disputé des dizaines de milliers de parties en 3 m + 2 s, en 3 m + 1 s et en 1 m (bullet), dont un pourcentage important face aux meilleurs joueurs du monde. 

Contrairement à la grande majorité des joueurs, qui haussent les épaules face aux accusations du Don Quichotte des 64 cases, José Martinez n’était pas du tout content d’être ainsi montré du doigt. «  Je peux perdre contre n’importe qui, a-t-il concédé, mais dans un bon jour, je sais que je peux également battre n’importe qui.  » 

Réplique sur l’échiquier

José Martinez a défié son accusateur en match de blitz 3 m + 2 s. Alors que sa cadence de prédilection est plutôt 3 m + 1 s, mais Kramnik souhaitait avoir une seconde d’incrément de plus. Le casino Gran Vía, à Madrid, a organisé le match avec une bourse relativement modeste de 20 000 euros. Mais ce qui était vraiment en jeu, était la crédibilité et l’honneur des deux hommes. 

La moitié des parties furent disputées sur l’échiquier, l’autre, chacun derrière son ordinateur, dans des conditions similaires à celles d’Internet, où Martinez excelle. Sur l’échiquier, le champion russe l’a devancé de justesse  : 7,5 à 6,5 points. Mais derrière l’ordinateur, la vision en 2D et la dextérité dans le maniement de la souris ont nettement favorisé le plus jeune, qui l’a finalement emporté 15,5 à 11,5 points. «  Je voulais simplement lui prouver que j’étais capable de rivaliser  », a déclaré le jeune Péruvien. Et accessoirement, que je ne triche pas, aurait-il pu ajouter. Dans un match retour très disputé, le grand maître russe a pris sa revanche. Mais il reste de ces deux longs matchs, dans un environnement contrôlé, un fait éclatant : José Martinez ne triche pas.


José Martinez-Vladimir Kramnik 

«  Clash of Claims  » (2e partie), Casino Gran Vía, Madrid, 2024. Défense française

1.e4 e6 2.d4 d5 3.Cd2 c5 4.Cgf3 cxd4 5.Cxd4 Cc6 6.Fb5 Fd7 7.Cxc6 bxc6 8.Fd3 Fd6 9.De2 e5 10.c4 Cf6 (10…d4 ! ?) 11.0–0 0–0 12.cxd5 cxd5 13.exd5 Te8 14.Cc4 Fg4 15.De3 Fc7 16.d6 (les blancs rendent le pion pour gagner la paire de fous.) 16…Fxd6 17.Cxd6 Dxd6 18.Fc4 Fe6 19.Fe2 Cd5 20.Dg3 Cf4 21.Ff3 Tab8 22.b3 a5 23.Td1 Dc7 24.Fe3 Tbd8 25.Tdc1 Db8 26.h4 h6 27.Td1 Db4 28.Rh2 ! (ce coup va s’avérer très utile.) 28…Cg6 29.h5 Cf4 30.Dh4 Db8 ? 

(voir diagramme)

31.Fa7 ! (avec 40 secondes à la pendule, Martinez trouve ce très fort coup  !) 31…g5 (31…Dc8 32.Tac1+–. Et sur : 31…Dxa7 32.Txd8+–) 32.hxg6 Cxg6 33.Df6 Txd1 34.Fxb8 Txa1 35.Fxe5 Cxe5 36.Dxe5 Txa2 37.Df4 (normalement, les deux tours compensent la dame largement, mais la position avec une situation exposée du roi noir, surtout à une cadence très rapide, est infernale à jouer.) 37…Rg7 38.Dd4+ Rg8 39.De3 Rg7 40.Fc6 Tc8 41.Dg3+ Rf8 42.Dd6+ Rg7 43.Fe4 Te2 44.Ff3 Tec2 45.De5+ Rg8 46.Dxa5 T2c5 (46…Fxb3 !) 47.Dd2 Fxb3 48.Dxh6 Fe6 49.De3 T8c7 50.Fe4 Rg7 51.f4 Th5+ 52.Rg1 Rf8 53.Da3+ Rg8 ? (53…Re8 s’imposait.) 54.f5 ! Fxf5 55.Fxf5 (55.Dg3+ !) 55…Rg7 ? (55…Txf5 56.Dg3++–) 56.Dg3+ (la tour en ç7 tombe.) 1–0


L’avant dernière partie disputée sur l’échiquier

José Martinez-Vladimir Kramnik 

«  Clash of Claims  » (15e partie), Casino Gran Vía, Madrid, 2024. Défense française.

1.e4 e6 2.d4 d5 3.Cd2 c5 4.Cgf3 Cc6 5.exd5 exd5 6.Fb5 De7+ 7.Fe2 Cf6 8.0–0 Dc7 9.c4 cxd4 10.Cb3 Fe7 11.Cfxd4 0–0 12.Cxc6 bxc6 13.cxd5 Cxd5 14.a3 Tb8 15.Dc2 Db6 16.Cd2 Cf4 17.Fc4 Fe6 18.Cf3 Fxc4 19.Dxc4 Cg6 20.b4 (à cause de la faiblesse du pion ç, les blancs jouissent d’un petit avantage.) 20…Db5 ! 21.Dxb5 cxb5 (maintenant la position est égale.) 22.Fe3 a6 23.Tac1 Tbc8 24.g3 Tfd8 25.Fb6 Te8 26.Tfd1 f6 27.Txc8 Txc8 28.Td7 Tc3 29.Cd4 Txa3 30.Cf5 (pour le pion de retard, toutes les pièces blanches sont en jeu.) 30…Ff8 31.Fc5 Tf3 ? 32.Ce3 ! (la tour noire se retrouve enfermée.) 32…f5 33.Rg2 f4 34.Ta7 ! (34.Rxf3 ? Ce5+ 35.Rxf4 Cxd7=) 34…Fxc5 35.bxc5 Ce5 36.Cg4 ! (les blancs gagnent la qualité ou une pièce.) 36…fxg3 (36…Cxg4 37.Rxf3 fxg3 38.hxg3 Cf6 39.Txa6+–) 37.Cxe5 Txf2+ 38.Rxg3 Tf8 (38…Ta2 ? ? 39.Ta8#) 39.Txa6 Te8 40.Rf4 Rf8 41.Tb6 Tc8 42.Txb5 Re7 43.Re4 Ta8 44.Rd5 Td8+ 45.Rc4 Re6 46.Cc6 Ta8 47.Cd4+ Re5 48.c6+ Rd6 49.Td5+ Rc7 50.Rc5 Ta1 51.Cb5+ Rc8 52.Rb6 1–0


Le problème du mois

Étude de H. Lommer, 1943.

Les blancs jouent et gagnent.

La solution.