Les étudiants, pressés mais anxieux d’entrer sur le marché du travail
L’« armure » de la formation et du diplôme leur semble parfois fragile et ce n’est pas en conquérants que les étudiantes et étudiants du supérieur (bac + 3 et plus) abordent les rives du monde de l’entreprise. C’est ce dont témoigne une étude de l’Apec publiée en septembre 2024.*
« Le fait de découvrir quelque chose de nouveau, à la fois ça fait un peu peur mais en même temps, je sais que si ça se passe bien, ce sera quelque chose de super, donc j’ai hâte. En même temps j’ai peur, mais j’ai hâte. » Ce témoignage d’une étudiante en sciences humaines est symptomatique de la façon dont cette catégorie envisage son entrée sur le marché du travail. Avec appétit… mais aussi avec des inquiétudes. Avec appétit car la majorité d’entre eux (52 %) se réjouissent à l’idée de devenir indépendants financièrement. Telle cette autre étudiante en master langues et société, qui, habitant encore chez sa mère, dit ressentir le « besoin » d’avoir sa « propre vie ».
À ce désir de s’émanciper économiquement s’ajoute, pour ces étudiants, portés par la dynamique d’apprentissage de leurs années de formation, celui d’« apprendre de nouvelles choses et de se développer » (43 %). Sans surprise, tous attendent donc du travail… qu’il les nourrisse – au propre comme au figuré. Sur ce second point, il est à noter qu’ils témoignent d’un certain optimisme : 70 % se représentent le monde du travail comme « stimulant », 64 % comme « innovant » et 63 % comme « coopératif ». Une image – dans l’absolu ? – qui vient se heurter à d’autres perceptions plus négatives, voire éminemment dures.
Les étudiants du supérieur anticipent ainsi un univers professionnel austère – « exigeant » et « sérieux » (89 % et 88 %). Et à la question « Diriez-vous que le monde du travail, tel que vous vous le représentez, est : compétitif, stressant, autoritaire, impitoyable ? », ils sont 85 %, 83 %, 70 % et 57 % à répondre oui pour chacun de ces qualificatifs, quels que soient leur établissement ou leur filière.
La crainte d’être mal payé
Les craintes se cristallisent sur la rémunération, que les étudiants anticipent comme insuffisante au regard de l’investissement individuel, et sur les conditions de travail qui ne favoriseraient pas un bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Être mal payé, avoir trop de pression et trop de travail sont les premières sources d’inquiétude pour nombre de ces jeunes adultes quand ils pensent à leur premier poste. « Je ne vois pas une personne en consulting se limiter à sept heures de travail par jour. Personne ne s’y limite, en fait, alors qu’on est payé pour sept heures par jour. Donc c’est ma crainte : ne pas être assez payée ou pas assez reconnue », souligne un étudiant en école de commerce.
Pourquoi une telle ambivalence ? L’étude de l’Apec répond en l’imputant « pour partie à leur connaissance limitée du monde du travail », laquelle favoriserait toutes sortes de représentations plus ou moins fondées, plus ou moins fantasmées. Les étudiants du supérieur, pourtant bien engagés dans leur formation, sont, il est vrai, nombreux à avouer leur besoin d’information sur les métiers auxquels ils se destinent et sur le marché de l’emploi. Une majorité d’entre eux aimeraient ainsi être mieux renseignés sur la fourchette de rémunération à viser pour un premier poste (59 %), la réalité du métier envisagé (55 %) – journée type, horaires de travail, types de missions, etc. – ou encore le droit du travail (52 %) – comment lire un contrat de travail, les droits du salarié, etc.
Il est aussi probable, suggèrent les auteurs de l’étude, que la hâte des étudiants du supérieur à intégrer le monde du travail pour les raisons évoquées plus haut, soit tempérée par les expériences de certains proches. Celles-ci expliqueraient notamment pourquoi ils sont 63 % à estimer qu’il leur sera difficile de trouver un emploi qui corresponde à leurs critères (salaire, localisation, télétravail…). Et pourquoi un sur deux pense même qu’il lui sera difficile de trouver un premier emploi.
Une certaine défiance à l’égard des entreprises
Alors, bien sûr, dans son baromètre 2023 de l’insertion des jeunes diplômé·es, l’Apec relativise : « Douze mois après l’obtention de leur diplôme, 88 % des bac + 5 et plus étaient en emploi, dont 68 % en Cdi »**, et « 58 % attribuaient une note de satisfaction d’au moins 8 sur 10 à leur emploi ».
Mais au-delà des chiffres, ce que l’étude souligne en creux, c’est une certaine défiance des futurs diplômés de l’enseignement supérieur à l’égard des entreprises et – sans doute – des formes de management qui lui sont associées, suspectes d’être peu propices à l’épanouissement et à l’équilibre personnel. Mis à part les élèves ingénieurs, plus confiants que la moyenne, les étudiants évoquent notamment, même s’ils ne les ont pas encore expérimentées, la mauvaise qualité de l’intégration des jeunes, la faible reconnaissance de leurs efforts, l’impossibilité de progresser rapidement…
« Je suis assez frustrée par le manque d’opportunités qu’il y a, le manque d’aide qu’on nous propose. En général il y a un désintérêt pour la jeunesse et une dissonance entre le fait qu’on nous dise que nous sommes le futur, que c’est génial, qu’on va vraiment prendre le relais, et la réalité qui est que malheureusement on n’a rien à notre portée », témoigne ainsi cette étudiante en master de relations internationales.
Une préoccupation qui doit être entendue. Notamment si les entreprises ont à cœur de fixer durablement les jeunes salariés dans leur emploi et d’éviter les démissions précoces, surreprésentées chez les jeunes cadres.
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