Dessin -  Revue de presse – Au menu austéritaire, un zeste de « justice fiscale »

Bien avant le discours de politique générale de Michel Barnier, la taxation des plus riches pour maîtriser les comptes publics a agité les éditorialistes. Beaucoup la jugent légitime. D’autres s’insurgent : vous n’y pensez pas ?

Édition 057 de début octobre 2024 [Sommaire]

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Un effort «  exceptionnel  » sera donc demandé «  aux Français les plus fortunés  ». C’est avec une grande prudence dans le choix des mots que Michel Barnier a confirmé ce qui, depuis plusieurs semaines, avait fuité dans la presse. «  Enfin  », dit en substance la rédaction d’Alternatives économiques  : «  Cela représente un changement de braquet important par rapport aux sept années de macronisme profondément antifiscales.  » Dans L’Obs, Pascal Riché relativise ce qui ressemble à un retournement  : «  Emmanuel Marcon a sauvé les quatre piliers de sa politique  : soutien aux entreprises, fiscalité favorable au capital, flexibilité du marché du travail, rabot sur les dépenses sociales. Toutefois Michel Barnier a marqué sa petite différence quand il a suggéré “un effort” aux plus riches, provoquant quelques haut-le-cœur parmi la majorité présidentielle.  »

Ces haut-le-cœur, on les retrouve chez certains éditorialistes qui ne rechignent pas à adopter un registre de l’ordre du drame. Augmenter les impôts pour combler les déficits  ? C’est «  le retour du mal français  » titre L’Opinion quand Dominique Seux, dans Les Échos, déplore «  une faute fiscale  ». Certains vont encore plus loin dans la tonalité catastrophiste. Ainsi Jean-Michel Lamy, dans sa chronique du Nouvel Économiste  : «  Tous oublient que tirer un trait sur les réformes fiscales Macron I replongerait le pays dans l’économie lugubre  », pronostique-t-il alors que, selon lui, la stratégie de baisse d’impôts commencerait à peine à porter ses fruits. L’Humanité y oppose les enseignements d’un sondage d’Oxfam  : elle est une bonne idée pour 80  % des Français.

Un discours ressassé depuis le XIXe siècle

L’opposition à une augmentation des impôts des «  plus fortunés  » relève en réalité d’un vieux refrain. L’argument est développé par Vincent Drezet, porte-parole d’Attac, à qui L’Humanité donne la parole dans le cadre d’un débat en deux volets sur le thème  : peut-on taxer les riches  ?

Tout en affirmant que cette taxation est «  légitime  », il détaille les formes qu’elle pourrait prendre  : meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu, réexamen des niches fiscales, instauration d’un impôt sur la fortune avec assiette large, renforcement des droits de donation et de succession… Il poursuit  : «  Leurs opposants y voient certes la rengaine des mouvements politiques et sociaux de gauche et arguent qu’elles provoqueraient la ruine du pays. Le discours est connu depuis le XIXe siècle […] mais ne s’est pas vérifié dans les faits.  »

Tout dépend pour quoi faire, lui rétorque Olivier Redoulès, directeur des études de Rexecode qui se plaît à souligner le «  faible  » montant rapporté à ses yeux par l’ancien Impôt de solidarité sur la fortune. «  S’il s’agit de mettre une limite à la richesse et d’interdire d’aller au-delà, c’est possible […], S’il s’agit d’augmenter les recettes publiques, taxer les plus riches n’est pas forcément la meilleure solution  », défend-il.

Un quitus «  moral et politique  »

«  Mettre une limite à la richesse  »  : dans Mediapart, Romaric Godin tempère pour le moins cette crainte, après que Michel Barnier a fait savoir que les deux tiers de l’effort de redressement viendraient de la réduction des dépenses. Il argumente  : c’est «  une pincée de “justice fiscale” qui, en réalité, a pour fonction principale de s’offrir le droit de conserver l’essentiel des baisses d’impôts du passé et de faire porter l’essentiel de l’effort sur les dépenses. Renoncer temporairement à 8 des 50 milliards d’euros annuels de baisses d’impôts réalisées sous le premier quinquennat Macron tout en s’offrant un quitus “moral et politique”, voilà qui n’est pas une si mauvaise affaire  ».

D’ailleurs qui mettra la main au pot  ? se demandent un certain nombre de titres qui tentent de cerner ce qu’est la richesse. «  Le problème, c’est que les principaux concernés ne se sentent pas forcément visés. Tout est relatif, surtout quand cela nous arrange  : on trouve toujours plus riche que soi pour se rassurer  », ironise Laurent Jeanneau, dans Alternatives économiques. Sans présager de la définition qui en sera donnée par le débat parlementaire sur le budget, Paul Quino, dans son éditorial de Libération, prévient  : «  Sur la question budgétaire, on saura si la perche tendue sur la “justice fiscale” était un leurre qui, finalement, ne pèsera pas grand-chose face à la douloureuse des économies à réaliser. C’est en résumé l’équation du moment Barnier  : le niveau d’ambiguïté entre le velours du gant et le fer de la main.  »

Christine Labbe