Polars – Des Hautes-Alpes à Haïti, l’instinct de survie

Feux dans la plaine d’Olivier Ciechelski et Furie Caraïbe de Stéphane Pair : découverte avec deux romans noirs mis en lumière par le Prix Découverte Claude Mesplède, du nom de l’historien des littératures policières, longtemps chroniqueur d’Options.

Édition 057 de [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

Le nom de Claude Mesplède (1939-2018), historien et encyclopédiste mondialement reconnu des littératures policières – qui a longtemps partagé sa passion dans les colonnes d’Options – est désormais associé à des récompenses célébrant la vivacité d’un genre que son engagement généreux a contribué à imposer. Encourager de nouveaux talents, tel était son credo, et c’est bien l’esprit du Prix Découverte Claude Mesplède. Le jury de sa 4e édition vient de rendre son verdict en consacrant Olivier Ciechelski, un primo-romancier venu du documentaire.

Niveau un  : altitude zéro. Tourments internes et cauchemars éveillés pour Stanislas Kosinski, qui soigne son mal-être d’ancien militaire, affecté par la perte de sa femme, dans soixante hectares de maquis des Hautes-Alpes. Son silence et sa solitude se nourrissent des travaux de réparation d’une maison, de l’entretien d’un potager et de l’observation de la faune et de la flore… Niveau deux  : contreforts escarpés. Des chasseurs violent son territoire de  rédemption. Il y a soudain des tueurs dans les collines. Qui le prennent pour cible… Niveau trois  : là-haut, sur les hauteurs, dans un déchaînement de fureur, hommes et bêtes se confondent…

Retour à la sauvagerie primale

Feux dans la plaine est une ode à l’ivresse de la nature, une immersion dans son âpreté. Y souffle un vent sombre, quand bien même se lève une brise bienveillante, en la personne d’une jeune bergère, contrepoint lumineux d’un univers suffocant de haine trop longtemps contenue…

La narration se découpe en trois parties, qui correspondent à autant de paliers géographiques. À chacun d’eux, Stan, l’ermite errant, rudoyé par la vie, se dépouille un peu plus de son reliquat d’humanité. Et sa symbiose avec la nature, dans une progression lente mais inexorable, se confond avec un retour à la sauvagerie primale… Question instinct de survie, rien ne distingue l’homme de l’animal.

Dans la veine du nature writing, Olivier Ciechelski nous offre un conte noir et cruel, qui doit autant à Jean Giono qu’à Rambo. Telle n’est pas la moindre des singularités de ce roman épuré, mais au style flamboyant, que ponctuent des scènes étonnantes – l’affrontement avec un ours, la traversée d’une forêt dévorée par le feu… – et un final à l’amertume tragique…

Rosalie Adolphe traque les dissidents

Furie Caraïbe, signé Stéphane Pair, figure parmi les titres finalistes de ce Prix Découverte Claude Mesplède. Ce journaliste de France Info s’est imposé sur la scène littéraire en 2017 avec un premier polar, Élastique nègre, ancré dans la Guadeloupe des années 1990. À travers cette deuxième fiction, il poursuit son exploration des coulisses de l’histoire contemporaine des Antilles, en s’intéressant cette fois-ci à Haïti.

1971  : «  Papa Doc  » règne en despote absolu. L’autoproclamé président à vie assoit son pouvoir grâce à ses sinistres «  tontons macoutes  », une milice sanguinaire dirigée par Rosalie Adolphe, qui traque sans pitié les opposants au régime. C’est ainsi que la famille Sansaricq est massacrée pour les prises de position du père. Seule la petite Sybille, 5 ans, échappe miraculeusement à la tuerie…

1986  : «  Bébé Doc  » a succédé à son père dans un même tourbillon de violence. Sybille vit à Cité Soleil, vaste bidonville de Port-au-Prince. Étudiante, elle milite activement pour faire chuter la dynastie Duvalier. Et se venger de Rosalie Adolphe…

Sybille, obsédée par la loi du talion

Stéphane Pair sait conter l’histoire. Son récit, en alternant les époques 1971 et 1986 – avec des sauts en 1949 et en 1964 –, décrypte les événements qui ont façonné et, surtout, défiguré Haïti. Avec effroi, on comprend comment le crime et le chaos ont étouffé les libertés et la démocratie, comment la corruption et le trafic de drogue ont érigé la pauvreté en norme sociale…

Il sait aussi raconter des histoires puissantes, faisant se croiser, d’une plume ample et précise, personnages réels et fictifs. Le roman est dominé par Sybille et Rosalie, deux mémorables figures féminines. La première, obsédée par la loi du talion, cherche aussi à comprendre ses origines en apprenant, qu’enfant, elle a été adoptée… La seconde se révèle bien plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraissait de prime abord. Et l’auteur, dans une notice en fin de volume, nous révèle ce qu’il est advenu par la suite de la vraie Rosalie Bosquet, dite Madame Max Adolphe…

«  La fortune détournée par la famille Duvalier est évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars, précise encore Stéphane Pair dans cette postface. Elle n’a jamais été restituée au peuple haïtien  ». Et le pays n’en finit pas de panser ses plaies. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer sa violente actualité…

Onirique, comme chez Olivier Ciechelski, ou historique, comme chez Stéphane Pair, le roman noir brille décidément de multiples facettes.

Serge Breton

  • Olivier Ciechelski, Feux dans la plaine, Le Rouergue, 2023, 208 pages, 20 euros
  • Stéphane Pair, Furie Caraïbe, 10/18, 2024, 234 pages, 14,90 euros.