Toute la peinture de Jean Hélion pour en avoir le cœur net
Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente une importante rétrospective de l’œuvre de ce peintre, pionnier de l’abstraction puis converti, après-guerre, à l’art figuratif.
L’époque, dans les musées, semble à la réévaluation, voire à la réhabilitation, d’artistes mal connus. C’est le cas d’Auguste Herbin, au musée de Montmartre, dont nous parlions récemment. Ces temps-ci, c’est de Jean Hélion (1904-1987) qu’il s’agit. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, sous le titre « La prose du monde », propose une exposition rétrospective de ce peintre et intellectuel dont l’œuvre a traversé le XXe siècle.
Son parcours est extrêmement singulier, dans la mesure où il fut, au côté de Piet Mondrian, entre autres, l’un des pionniers de l’abstraction, qu’il a contribué à introduire aux États-Unis dans les années 1930, avant d’évoluer, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, vers une figuration ô combien personnelle.
Ses cadets de la figuration narrative le salueront avec chaleur
Revenu en France après la guerre, il s’installe près du jardin du Luxembourg, et y demeurera jusqu’à son dernier souffle. Dans les années 1960, la nouvelle génération dite de la « figuration narrative » (Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Hervé Télémaque, Bernard Rancillac, Antonio Recalcati, etc.), ses cadets, le salueront avec chaleur. Hélion est alors exposé dans des galeries et institutions françaises et internationales.
« La prose du monde », suivant la chronologie, réunit plus de 150 œuvres (103 peintures, 50 dessins, des carnets, une documentation abondante), le tout rarement présenté au public, en provenance de grandes institutions de France et d’ailleurs, ainsi que de nombreuses collections privées.
Exposant à la Foire aux croûtes de Montmartre
Né en Normandie, Hélion est à Paris en 1920. Dessinateur chez un architecte, il fréquente le Louvre, expose à la Foire aux croûtes de Montmartre. Le collectionneur Georges Bine lui offre son premier contrat. Le peintre uruguayen Joaquín Torres García, qu’il héberge dans son atelier, l’initie au cubisme.
En 1932, avant de partir aux États-Unis (il y épousera Jean Blair), Hélion participe à la création du collectif Abstraction-Création, qui regroupe toutes les tendances de ce mouvement, avec notamment Gleizes, Arp, Kupka, Robert Delaunay, Mondrian … C’est en 1939 qu’il exécute son ultime œuvre abstraite, Figure tombée.
À New York, avec l’avant-garde en exil
Mobilisé à la déclaration de guerre, Hélion rentre en France. Fait prisonnier, il s’évade en 1942. Revenu aux États-Unis, il publie le récit de sa captivité, They Shall Not Have Me (« Ils ne m’auront pas ») qui connaît un grand succès. Il épouse en secondes noces Pegeen Vail Guggenheim, fille de la grande collectionneuse milliardaire Peggy Guggenheim (1898-1979). À New York, il fréquente les artistes d’avant-garde en exil, dont Marcel Duchamp.
Définitivement parisien, incompris depuis son retour au réel et à la figuration, Hélion traverse, de 1950 à 1955, une grave crise personnelle et d’ordre esthétique. Il se sépare de Pegeen Vail, dont il a eu trois fils. Le soutien de Giacometti, du poète Francis Ponge (auteur du Parti-pris des choses) et de Fernand Léger lui est alors précieux.
Les événements de 1968 le passionnent
À l’orée des années 1960 a lieu, à la galerie Louis Carré, une importante exposition de sa période abstraite, tandis que ses œuvres figuratives demeurent ignorées du public. Les événements de 1968 le passionnent, sa peinture en témoigne. En 1970, au Grand Palais, c’est sa première rétrospective. Il peint le monumental triptyque baptisé Jugement dernier des choses.
En octobre 1983, quasi aveugle, Jean Hélion dicte ses Mémoires à Jacqueline Ventadour, sa dernière épouse. En 1984, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente une rétrospective de son œuvre. Jean Hélion s’éteint le 27 octobre 1987.
La visite est une fête pour l’œil et l’esprit, depuis la savante géométrie du début jusqu’à la griserie du réel réinventé, avec des nus féminins jaillissant en relief, des mannequins de vitrine surplombant un homme couché sur le trottoir, des cyclistes, des femmes à la fenêtre, des citrouilles aux entrailles béantes ou trois araignées de mer aux pinces réunies en forme de cœur et toute une humanité quotidienne, magnifiquement recréée après la guerre.
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