La valeur du travail, au cœur de la riposte sociale et politique

La Cgt et son Ugict engagent toutes leurs forces pour déconstruire l’imposture Rn, et plus encore pour défendre une véritable alternative à la crise sociale et politique, fondée sur l’intérêt général et sur un autre partage des richesses produites par le travail.

Édition 052 de mi-juin 2024 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Ce samedi 15 juin 2024, 182 rassemblements ont réuni 650 000 personnes dans toute la France. DR

Comment riposter ? Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale faisant suite au résultat de l’extrême droite aux élections européennes, les organisations et les militants de la Cgt bousculent leurs agendas pour s’engager en première ligne sur tous les terrains d’action, tout particulièrement dans le monde du travail. L’Ugict aussi : comme l’ont détaillé les sondages, le vote d’extrême droite imprègne désormais toutes les générations, les hommes comme les femmes, tous les territoires, tous les secteurs y compris les services publics, mais aussi toutes les catégories sociales et professionnelles, y compris un cadre sur cinq.

Les échanges, débats et réunions se sont succédé dans les jours qui ont suivi le 9 juin, avec pour seul objectif l’enrichissement au quotidien d’une «  boîte à outils  » argumentaire et logistique en mesure d’aider les militants, parfois démunis face à des discours ou à des comportements de leurs collègues, voire de camarades syndiqués. 

Lors d’une commission exécutive exceptionnelle de l’Ugict, plusieurs intervenants ont ainsi reconnu qu’il faudrait aller «  au corps à corps  », «  à la baïonnette  » sur le terrain, car «  il ne s’agit plus d’évoquer des principes éthiques et culpabilisants, de rediaboliser l’extrême droite, pour dissuader des personnes dont la sympathie pour ses idées relève, comme pour tout vote, d’affects plus que de rationnel. Concernant les catégories ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise, on peut tout de même espérer qu’avec des démonstrations crédibles et vérifiables, on peut déconstruire les illusions entretenues par le Rn, qui jusqu’à présent n’a en rien contribué au progrès social. Et aussi convaincre que d’autres voies sont possibles  ».

Trouvez de quoi agir dans la boîte à outils de l’Ugict

Ce qui fait le terreau de l’extrême droite, ce sont quarante ans d’un néolibéralisme favorisé par les gouvernements successifs. Il a entraîné la déliquescence du lien social et de la solidarité  ; la désindustrialisation  ; le ressentiment dans certains territoires désertés par les services publics, que ce soit dans la France rurale ou dans de nombreux quartiers et zones périphériques. 

D’où un sentiment de déclassement partagé au-delà des populations les plus modestes, du fait de conditions de vie dégradées, de l’appauvrissement, du chômage et de la précarité. L’ascenseur social est bloqué, y compris dans les classes moyennes, et trop de salaires ne permettent plus de vivre dignement  : 9,1 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en France selon l’Insee en novembre 2023. Globalement, s’est installée la certitude de ne rien maîtriser de sa vie et d’être méprisé par les élites qui nous gouvernent.

Un syndicaliste doit-il s’interdire d’évoquer certains sujets au travail  ?

Selon les sondages les salariés «  proches d’un syndicat  » votent moins pour le Rn, dans chaque catégorie socio-professionnelle. Il n’en reste pas moins qu’un sympathisant Cgt sur quatre aurait voté à l’extrême droite. Les militants le reconnaissent, certaines idées réactionnaires sont banalisées dans leur milieu professionnel  : «  On s’interdit depuis longtemps des sujets clivants, que ce soit l’immigration, les discriminations envers les Lgbt, ou récemment, les enjeux de la situation à Gaza. On laisse parfois passer des réflexions racistes ou souverainistes, y compris au sein du syndicat. Doit-on l’accepter, d’autant que certains parlent ainsi au nom de la Cgt  ?  » 

D’autres facteurs d’autocensure sont évoqués  : «  Peut-on s’impliquer dans le débat politique en tant que syndicaliste  ?  » interroge un responsable de syndicat convoqué par son supérieur hiérarchique parce qu’il avait déposé des documents antifascistes près de la machine à café. 

Déconstruire les illusions entretenues par le Rn, mais pas que

Caroline Blanchot, secrétaire générale de l’Ugict, explique que la «  neutralité  » est une des raisons pour lesquelles certaines confédérations se sont limitées à rappeler leur attachement à la démocratie et à condamner la politique et la décision d’Emmanuel Macron, mais n’ont pas souhaité signer la déclaration intersyndicale (Cgt, Cfdt, Fsu, Solidaires, Unsa) appelant à voter contre l’extrême droite aux législatives. Côté cadres aussi, la Cgc et Fo-cadres ont pour l’heure préféré rester en retrait d’initiatives communes. 

Caroline Blanchot éclaire à ce titre les interrogations sur la «  Charte d’Amiens  », adoptée par la Cgt en 1906. «  La charte affirme l’indépendance syndicale, mais pas la neutralité politique. Dès lors qu’un projet politique peut avoir des conséquences destructrices pour le monde du travail, les conditions de vie des travailleurs voire la démocratie. La Cgt s’est mobilisée à plusieurs reprises avec les partis politiques dans l’Histoire. Par exemple lors de la réaction unitaire des syndicats face aux ligues fascistes, qui a contribué à la naissance du Front populaire en 1934-1936…  » Indépendance donc, mais pas indifférence. 

Le secteur Droits et libertés de la Cgt met également à disposition des élus et représentants syndicaux tous les éléments du droit du travail qui garantissent le droit d’expression dans l’entreprise.

La Cgt a des valeurs et doit se donner tous les moyens de les défendre. Y compris par les grèves, le rapport de force dans l’entreprise, les manifestations dans l’espace public. Une fois tous ces préalables posés, chacun se demande comment faire avec un vote qui n’est plus seulement un vote protestataire, mais aussi d’adhésion – même si Jordan Bardella a déjà annoncé qu’il ne toucherait pas à la réforme Macron sur les retraites. 

«  Comment expliquer à nos collègues, à certains de nos proches, à des gens qu’on peut croiser dans l’espace public, qu’ils se trompent sur les véritables causes de leur colère et que la “préférence nationale” n’y changera rien  ?  » Au jour le jour, la «  boîte à outils  » de l’Ugict permet de rassembler documents et statistiques, questions-réponses, expériences d’initiatives ou toute autre idée susceptible de faire bouger les lignes, tout particulièrement auprès des 24 millions de Français qui se sont abstenus au dernier scrutin.

Le bilan du Rn à l’Assemblée et au Parlement européen

Un document est spécifiquement consacré au bilan du Rn à l’Assemblée et au Parlement européen, témoignant que ses élus se sont toujours rangés du côté de l’ultralibéralisme, des dominants, à la droite de la droite. Pour n’évoquer que les choix relatifs au monde du travail, le Rn se montre rassurant pour les patrons et le monde des affaires  : refus d’augmenter les salaires minimum ou d’indexer les salaires et les retraites sur l’inflation, proposition d’abaisser encore le «  coût  » du travail à coups d’exonérations de cotisations sociales pour les entreprises, avec pour conséquence un nouveau tassement des salaires par le bas et un manque à gagner supplémentaire pour les caisses de la Sécu ou des retraites. 

Des craintes existent aussi sur l’arrivée de syndicats «  à la botte  » dans les entreprises, et les conséquences pour le droit d’expression et de représentation, sans parler des conditions d’une «  préférence nationale  » à l’embauche ou à la promotion. 

L’inquiétude grandit également chez les fonctionnaires, y compris parmi les hauts cadres. Que se passera-t-il dans les ministères, les préfectures, les tribunaux, l’Éducation nationale, etc  ? «  On peut observer ce qui se passe dans des pays comme l’Italie, où le monde associatif, le monde de la culture, la télévision sont également dans le collimateur, privés de subvention ou mis au pas.  »

Lutter contre l’extrême droite, c’est aussi lutter pour le progrès social. DR

Réparer le travail, lui redonner de la valeur pour apaiser les tensions sociales

La crise politique est la conséquence de la crise sociale. «  Lutter contre l’extrême droite ne peut pas consister à seulement se mobiliser contre ses projets souligne ainsi un membre de la commission exécutive de l’Ugict. C’est aussi lutter pour le progrès social. Nous sommes riches de nos revendications, de nos propositions et de nos expériences dans tous les domaines qui concernent la vie économique, le travail, la protection sociale, la formation, l’éducation, la culture. Nous ne partons pas de théories mais bien de ce qui est faisable et souhaitable, nous sommes en capacité d’en chiffrer les financements.  » 

La Cgt prend ses responsabilités et veut montrer que, contrairement à ce qu’affirment les dirigeants qui se succèdent depuis des décennies, d’autres choix sont possibles et permettraient de réparer et d’apaiser la société. D’ailleurs, malgré l’urgence d’une campagne express, les ressources syndicales ont contribué à nourrir le programme du Nouveau Front populaire, alliance des partis de gauche pour construire une alternative aux impasses des ultralibéraux ou de l’extrême droite.

Programme du nouveau Front populaire 

Les premières mesures d’un gouvernement porteur de perspectives de progrès social  : abroger la réforme Macron sur les retraites et celle limitant l’accès à l’assurance chômage  ; revaloriser le Smic et indexer les salaires sur les prix  ; instaurer l’égalité salariale entre hommes et femmes  ; taxer les superprofits, dividendes et rachats d’actions  ; réinvestir dans les services publics pour renforcer le droit d’accès à l’éducation, à la santé, à la mobilité. 

La démocratie et le social au centre, cela veut dire aussi assurer davantage de justice sociale, un meilleur partage des richesses, et redonner une place aux représentants du monde du travail et au dialogue social. Avec le retour de Chsct ayant du pouvoir, ou encore une présence syndicale renforcée dans les Conseils d’administration. Mais aussi au quotidien, favoriser un pouvoir d’expression et d’action sur son travail, pour lui redonner du sens.

Rester plus que jamais mobilisés quelques soient les résultats des législatives 

Préparer l’après, c’est continuer d’œuvrer à réparer le monde du travail, relocaliser et créer des emplois compatibles avec les enjeux industriels, technologiques, environnementaux, donner des perspectives aux jeunes aussi, en envisageant comment reconnaître les années d’études et de formation, dans les entreprises comme pour le calcul des droits à la retraite. L’agenda revendicatif de la Cgt ne sera jamais clos. 

De nombreuses formations sont déjà proposées aux militants, que ce soit pour combattre pied à pied les arguments du Rn ou pour défendre les droits et intérêts des salariés. Côté Ugict, un collectif de lutte contre les idées d’extrême droite est désormais à l’œuvre, et d’autres collectifs s’organisent, par exemple parmi les «  encadrants  », à la Ville de Paris. Parmi les multiples initiatives, les 9 et 10 juillet, la Cgt poursuit la mobilisation en proposant un séminaire de deux jours sur ces questions. Rien n’est écrit d’avance, d’autres scénarios peuvent se construire.

Valérie Géraud