Entretien -  Cessation progressive d’activité à la Sncf  : les cheminots ouvrent la voie

L’accord sur la Cessation progressive d’activité (Cpa), signé le 22 avril par la Cgt, la Cfdt, l’Unsa et Sud-Rail, atténue les effets de la réforme des retraites. Quid de possibles extensions au-delà de la Sncf ? Entretien avec Cyril Dallois, administrateur salarié au conseil d’administration de Sncf Réseau, secrétaire national de l’Ugict-Cgt.

Édition 051 de fin mai 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

L’accord sur les fins de carrière permet de prendre en compte la pénibilité d’un grand nombre de métiers de la SNCF. © IP3 Press/MaxPPP

Options : L’accord sur la Cpa a décidé le gouvernement à écourter le mandat du Pdg de la Sncf, Jean-Pierre Farandou. Quant aux cheminots, ils retrouveraient une situation privilégiée par rapport aux autres travailleurs  ?

– Cyril Dallois  : Jean-Pierre Farandou a pourtant suivi les préconisations du gouvernement au moment où la réforme des retraites nous a été imposée  : s’appuyer sur le dialogue social pour prendre en compte, au sein des branches et des entreprises, les aspects ignorés par la réforme, en particulier la pénibilité des métiers et des carrières  ! Quant au «  cheminot bashing  », c’est une façon d’entretenir l’idée que personne ne doit échapper au régime d’austérité de plus en plus sévère imposé aux salariés, et que si certains y arrivaient, ce serait au détriment des autres salariés.

Mais ce qui est conquis par les uns ne l’est pas au détriment des autres  ! Cet accord déplace le curseur du partage des richesses, non pas entre les salariés, mais entre le travail et les bénéfices, y compris dans une entreprise comme la Sncf. 

Le gouvernement cherche à tout prix à verrouiller sa réforme des retraites. Il culpabilise les cheminotes et cheminots pour rendre impopulaire tout accord qui en annulerait une partie des effets et pourrait en inspirer d’autres. L’accord est jugé «  dangereux  » parce qu’il contredit l’injonction à consacrer plus de notre temps de vie au travail.

– Ce dispositif est-il rendu possible par les subventions publiques perçues par le secteur ferroviaire  ?

Cyril Dallois. DR

– La productivité des cheminotes et cheminots français est parmi les plus élevées du secteur ferroviaire européen, elle est également supérieure à la productivité moyenne en France. Depuis des années, les cheminotes et cheminots sont soumis à des pressions croissantes du fait de l’augmentation du trafic, favorisée par des progrès technologiques mais se traduisant par des suppressions de postes. Ces gains de productivité devraient permettre d’améliorer l’efficacité du système ferroviaire en termes d’investissements, de formations, d’embauches, ou de développer des complémentarités avec les autres modes de transport  ; elle a surtout permis à l’État de se désengager, en demandant toujours plus d’efforts aux salarié·es.

Ainsi, l’État a dépensé sans compter pour faciliter le développement de la concurrence privée, en faisant porter à la Sncf, aux collectivités locales et aux usagers le coût de lourds investissements qu’il aurait dû assumer au nom de l’aménagement du territoire, du report modal en faveur des modes les plus écologiques, et de l’égalité de toutes et tous en matière de transport. 

Le gouvernement a annoncé un plan de 100 milliards d’euros sur quinze ans pour le ferroviaire. Or la mécanique du financement repose aujourd’hui, pour beaucoup, sur les efforts de productivité, donc sur l’emploi et les conditions de travail des cheminotes et cheminots, et sur un nouveau recours à l’endettement de Sncf-Réseau et sur le fond de concours que seule Sncf-Voyageurs verse, tandis que les entreprises ferroviaires privées en sont exemptées. En 2023, Sncf-Voyageurs a ainsi financé la rénovation du réseau ferré national à hauteur de 1 milliard d’euros. Ce alors que des emplois de conducteurs ne sont pas pourvus, que des investissements en matériels sont nécessaires. 

– Cela explique-t-il en partie que le dialogue avec la direction de la Sncf ait été plus facile ?

– Depuis de nombreuses années, les législateurs plaident pour un dialogue au plus près des réalités économiques, et donc dans l’entreprise. Cet accord Cpa à la Sncf n’est, d’un point de vue légal, pas différent de tous ceux qui lui ressemblent dans d’autres entreprises ou branches professionnelles. Des dispositifs de fin de carrière avec aménagement du temps de travail et maintien de garanties de rémunérations et de cotisations sont courants. La fédération Cgt-Cheminots revendique son amélioration à la Sncf depuis longtemps. La mobilisation contre la réforme des retraites n’a rien fait d’autre que de la rendre encore plus urgente, et nos directions ont compris que cela devenait un sujet de tension. 

L’accord Cpa du 22 avril étend celui de 2008 à l’ensemble des cheminots, y compris contractuels ou travaillant dans des filiales de la Sncf retenues dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des Ter. Il améliore les droits de tous, tout en prenant en compte des paramètres imposées par la nouvelle réforme des retraites. 

Les dispositions renforcées de cet accord prévoient des aménagements de fin de carrière qui s’étendent de dix-huit à trente-six mois en fonction de la pénibilité des métiers et des conditions de travail – périodes de travail «  roulant  » par exemple. Elles permettent une compensation de cette pénibilité par une réduction de moitié du temps de travail, payée 75  % du salaire. 

Le Cpa consacre ainsi une part collective de salaire à libérer du temps pour les agents qui se rapprochent de l’âge de la retraite. C’est une réponse responsable à une réforme des retraites qui occulte la santé au travail et le coût social qu’il y a à prolonger de deux ans la vie au travail. Le gouvernement ne peut pas prétendre que les négociateurs de cet accord, du côté de la direction de la Sncf comme des syndicats, ne sont pas légitimes pour conclure un tel accord au prétexte qu’il ne lui convient pas.

– Cette remise à plat des conditions de fin de carrière suffit-t-elle pour clore le contentieux sur la réforme des retraites, du moins en ce qui concerne les cheminots ?

– Le régime de retraite des cheminots au statut a été institué en 1920 afin de fidéliser le personnel et de répondre aux contraintes de métiers qui restent, pour beaucoup encore, à forte pénibilité. Il repose sur un niveau de cotisations retraite bien supérieur à celui du régime général  : 47,94  % du salaire, abondé pour 37  % par l’employeur. Les cheminots se paient ainsi leurs droits spécifiques. 

La contribution de l’État n’intervient qu’au titre du déficit démographique, comme c’est le cas dans le régime général pour les professions dont l’évolution technologique ou les transformations conduisent à réduire considérablement le rapport actifs/retraités, dans le secteur du textile par exemple. 

La fin du recrutement au statut à la Sncf limite progressivement cette obligation faite à l’État de compenser, la part de cotisation supplémentaire versée pour les cheminots hors statut risquant de constituer une charge pour le régime général de retraite. Nous plaidons donc pour une intégration de tous les cheminots – y compris les nouveaux embauchés – à la Caisse de prévoyance de la Sncf, afin d’assurer à tous un haut niveau de protection sociale.

Par ailleurs, les nouveaux droits conquis par cet accord ouvrent un champ de progrès social pour l’ensemble du monde du travail, à commencer par la branche ferroviaire. Il n’y a aucune raison pour que les salarié·es renoncent à conquérir de nouveaux droits sociaux significatifs pour améliorer leurs conditions de vie, sans que cela constitue un péril économique pour notre pays. La hausse du niveau de qualification ces quarante dernières années a permis un accroissement considérable des richesses, en conjuguant l’intégration massive de nouveaux actifs et la réduction du temps de travail. Cette victoire permet de reposer la question de ce à quoi doit servir le travail  : libérer ou aliéner  ?

Propos recueillis par Valérie Géraud.