Lire les romans – Des femmes, des hommes et de la politique

Clémentine Autain livre une fiction qu’on devine fortement inspirée par son observation des rapports hommes-femmes à l’Assemblée nationale, tandis qu’Aurélie Fillipetti frôle le récit autobiographique avec une impossible idylle entre deux militants de bords opposés.

Édition 014 de mi-juillet 2022 [Sommaire]

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Clémentine Autain livre une fiction qu’on devine fortement inspirée par son observation des rapports hommes-femmes à l’Assemblée nationale, tandis qu’Aurélie Fillipetti frôle le récit autobiographique avec une impossible idylle entre deux militants de bords opposés.

Assemblées, les trois femmes du premier roman de Clémentine Autain le sont, toutes les trois attirées par le député de la majorité Antoine Paulin, bel homme, de «  cette catégorie d’hommes qui embellissent en vieillissant, qui sait briller et accaparer l’attention tout en donnant l’impression de s’intéresser aux autres, et qui possède l’assurance de ceux qui sont habitués à se situer au-dessus de la mêlée…  » 

Alors oui, cet Antoine est une caricature du mâle alpha, ce «  mal  » dominant, artiste de la séduction grâce aux attributs du pouvoir, ceux que lui confère son rôle à l’Assemblée nationale. Mais il n’est que le faire-valoir, celui qui met en évidence les ambiguïtés et les ambivalences d’Estelle, Jeanne et Lila.

Une authentique comédie

Estelle est l’épouse  : «  Elle a pris l’habitude de s’effacer et de se montrer attentive aux récits de son mari et aux discussions qui s’ensuivent.  » Mais lorsque le député Pascal Devron est accusé d’abus sexuel, et son mari revêt le costume d’une flegmatique indifférence, elle sait alors que «  quelque chose ne tourne pas rond  ».

Lila est une transfuge de classe, qui, «  sans vraiment se l’avouer  », oscille «  toujours entre la fierté de son ancrage populaire et la honte de son milieu d’origine, entre un rejet viscéral de la bourgeoisie et la tentation d’en être  ». Elle est résolument dans l’opposition, du genre à s’enchaîner aux grilles du siège parisien d’Amazon. Journaliste, prof de fac, mère célibataire, elle veut que cet Antoine tombe «  dans son escarcelle  ».

Quant à Jeanne, assistante parlementaire, «  venue à la politique d’abord par l’écologie, elle s’en veut de ne pas boire “développement durable”  » et d’adorer «  le petit bruit et la mousse qui se dégage  » à l’ouverture d’une canette de Coca Zéro. Et puis, ne s’en fout-elle pas de cet Antoine  ? Pas si sûr…

Assemblées, ces trois femmes autour du député  ? Oui, bien sûr. Mais peut-être aussi autour d’un MeToo frenchie, genre BalanceTonDéputé…

Clémentine Autain a écrit une authentique comédie, mâtinée de ce que l’on appelait auparavant le comique de caractère  : chez Molière, Alceste a tout ce qui caractérise le misanthrope, et Harpagon est le parangon de l’avare. Sous la plume de Clémentine Autain, Estelle, Lila et Jeanne expriment, chacune à leur manière, une soumission, et incarnent la difficulté d’échapper à cette soumission  : c’est moins drôle, mais efficace. Moins drôle parce que le champ politique n’est pas des plus rigolos et que la subordination au genre masculin ne prête pas vraiment à s’esclaffer. «  La comédie n’est qu’un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance  », écrivait Corneilleen 1644. En 2022, Assemblées est la parfaite comédie du pouvoir «  genré  », donc de presque tous les pouvoirs…

«  Bof, c’est une militante  »

En 2018, Aurélie Filippetti publiait son roman Les Idéaux, édité aujourd’hui en poche. Ce n’est pas une comédie, plutôt une tragédie  : une femme qui deviendra ministre, un homme qui a été secrétaire d’État, elle de gauche, lui de droite, vont tisser ensemble une histoire d’amour, comme dans un drame shakespearien. Ces deux-là, que tout oppose a priori, présentent quelques idéaux communs  : une passion partagée pour la démocratie, pour la France, pour la politique. Mais tous deux vont se heurter à l’exercice du pouvoir et à la violence qui l’accompagne. 

Ce livre est une fresque détaillée des mœurs politiciennes sous les quinquennats de Sarkozy et de Hollande. Alors s’entrechoquent la fougue amoureuse, l’ardeur, la grande histoire et celle qui pourrait sembler anecdotique  : un jour elle suggère le nom d’une femme à François Hollande, pour un poste d’envergure. Il lui répond  : «  Bof, c’est une militante.  »

Nulle méchanceté gratuite

Clémentine Autain écrit sur ce qu’elle connaît bien, l’engagement au temps de Metoo. Elle se moque, avec finesse et presque en plaisantant, des rapports non pas hommes-femmes, mais femmes-hommes dans le monde politique. Cela pourrait être drôle, mais le sujet interdit toute pantalonnade. Presque une fable.

Aurélie Filippetti se raconte, narre un épisode de sa vie, sa relation avec Frédéric de Saint-Cernin (secrétaire d’État dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin), son parcours engagé, son ministère (la Culture), l’âpreté de la vie publique au sommet de l’État, le quotidien et les responsabilités, la férocité des us et coutumes de nos gouvernants dans les décors somptueux de la république. Nulle méchanceté gratuite, aucun discours hasardeux contre «  les élites  », juste un appel à ne pas s’étonner que tant de gens se détournent de la république. Et même s’il y a beaucoup d’elle, cela reste un roman sur les lendemains qui déchantent. De la littérature salutaire et digne de ce nom.

Comme le disait Mario Vargas Llosa, «  la chance de la littérature, c’est d’être associée aux destins de la liberté dans le monde : elle reste une forme fondamentale de contestation et de critique de l’existence.  »

Jean-Marie Ozanne