Les salariés ont cessé le télétravail pour protester contre un double projet de licenciement et d’externalisation des emplois.
Une réunion du comité social et économique virtuellement envahie par quelque 80 cadres grévistes : le mode d’action est pour le moins inattendu et spectaculaire, mais motivé par la généralisation du télétravail, quasi intégral depuis plus d’un an chez Ibm France (5 000 salariés) : « Hier nous étions cinq sur les 400 salariés qui travaillent habituellement sur le site de Nice », témoigne José Sainz, secrétaire de la Cgt Ibm Provence-Méditerranée et délégué syndical central suppléant.
Si la crise sanitaire a ainsi imposé la distance et l’isolement comme modes d’organisation du travail, elle a aussi offert une nouvelle opportunité pour restructurer, avec l’annonce, en novembre, d’un double plan de départs et d’externalisation des emplois. À l’appel de la Cgt, les salariés, déjà réunis en assemblée générale en visioconférence tous les jeudis, étaient en grève numérique du télétravail, le vendredi 16 avril, de 9 heures à 12 heures.
L’action est inédite, à la hauteur d’un projet qui prévoit de se séparer de la moitié du personnel de l’entreprise. Une stratégie menée en deux temps : d’abord, la mise en œuvre avant l’été d’un plan de sauvegarde de l’emploi (Pse) concernant 1 250 postes, avec des licenciements secs s’il n’y a pas assez de salariés volontaires pour quitter la société. Puis, quelques mois plus tard, le transfert contraint de 1 000 autres salariés des activités traditionnelles de services informatiques vers une entreprise en cours de création, baptisée NewCo/Kyndryl. Au terme de cette restructuration, Ibm France aura perdu, depuis 2011, 75 % de ses emplois…
Tout pour l’intelligence artificielle ?
« La situation économique de l’entreprise ne peut justifier un Pse de cette envergure, explique pourtant José Sainz. Mais les activités traditionnelles ne sont plus considérées comme suffisamment rentables par la direction, dont l’objectif est de se recentrer et d’investir dans les technologies de l’intelligence artificielle et du cloud. » Si le projet de transfert se heurte à l’hostilité générale des salariés, qui le considèrent comme un prélude à des licenciements massifs externalisés, il s’appuie sur la mise en œuvre de l’article L. 1224-1 du Code du travail : « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, […] tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »
En ce vendredi 16 avril, c’est sur Zoom que la Cgt anime la grève, informe sur le contenu et le calendrier du Pse, comme du projet de transfert. En se connectant de manière intempestive sur la plateforme de visioconférence réunissant le Cse, les grévistes ont cherché à marquer les esprits, sur fond de bataille de la communication : « La direction, en effet, veut en garder la maîtrise et a interdit l’utilisation des moyens internes pour faire notamment de l’information syndicale, souligne le délégué Cgt. Notre premier travail, extrêmement chronophage et fastidieux, a consisté à collecter les adresses électroniques pour pouvoir enter en contact avec les salariés et maintenir le lien. »
Si la distance n’est pas un obstacle à la mobilisation, le fait que les syndicats se trouvent ainsi « bâillonnés » est une première difficulté pour organiser une grève numérique. Il en est une seconde, mise en évidence par José Sainz : « En accentuant la culture de chaque syndicat, la distance ne facilite pas non plus le travail intersyndical auprès des salariés. » Si les organisations se sont constituées en intersyndicale (Unsa, Cfe-Cgc, Cfdt, Cftc, Cgt), refusant en particulier la perspective de licenciements secs, c’est seule que la Cgt a appelé à la grève numérique. Avec la volonté d’étendre le mouvement à l’international : le plan social français s’inscrit en effet dans le cadre plus global de 10 000 suppressions de postes programmées en Europe, ce qui correspond à 20 % des effectifs du continent.
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