Quoi qu’en dise le gouvernement, les pensions ne seraient plus garanties ni avant ni après leur liquidation. L’Ugict-Cgt poursuit son travail d’information et de décryptage du projet porté par Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites.
Comment comprendre le projet de réforme des retraites et la stratégie du gouvernement pour le mettre en œuvre ? À l’occasion d’une journée d’étude réunissant une soixantaine de militants, l’Ugict-Cgt s’est attachée, le 26 septembre, à décrypter ses pièges et ses non-dits, en mettant notamment en garde contre les éléments de communication contenus dans le rapport Delevoye. À quel âge pourra-t-on partir à la retraite et avec quel niveau de pension ? En réalité, le gouvernement refuse de répondre à cette question, préférant détourner l’attention vers l’universalité du nouveau système à points et sa supposée simplicité. Sophie Binet, cosecrétaire générale de l’Ugict-Cgt, dénonce une réforme « opaque » qu’il « faut mettre en échec grâce à un travail d’information et de déploiement » en agissant sur plusieurs leviers : l’articulation entre les impacts individuels, les grands principes et les enjeux collectifs ; un travail spécifique en direction des jeunes, pour lesquels les effets de la réforme joueraient à plein ; la proposition d’une réforme alternative (voir encadré).
Premier élément de valorisation de la réforme : le maintien du système par répartition, au sein duquel les pensions versées aux retraités sont financées par les cotisations payées par les actifs au même moment. « Mais il y a plusieurs manières de faire de la répartition », prévient Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt : à prestations définies ou à cotisations définies. La première s’attache à financer les prestations que les régimes de retraite veulent maintenir ou améliorer, comme cela a été le cas jusqu’au début des années 1990, via une augmentation des cotisations ; la seconde bloque les ressources une fois pour toutes. « Aujourd’hui, poursuit-elle, nous fonctionnons depuis plusieurs décennies à prestations et cotisations négociées, en fonction du rapport de force déterminant l’évolution des ressources et des pensions. » Or la réforme introduit un système fonctionnant totalement à cotisations définies ; ce serait donc aux prestations de s’ajuster. Ajoutons qu’elle fragilise la répartition en incitant à la capitalisation les 10 % de cadres qui ne seraient plus couverts sur la totalité de leur salaire (voir Options n° 649).
Pilotage automatique et « règle d’or »
C’est, en effet, en fin d’argumentaire du rapport Delevoye que l’on trouve la véritable ambition de la réforme, ainsi résumée dans une « règle d’or » : « Le système universel est conçu à enveloppe constante. Au moment de son entrée en vigueur, le poids des recettes sera maintenu constant, de même que celui des dépenses. » Pour y parvenir, un double verrouillage financier serait mis en place : le blocage de la part des richesses affectée au financement des retraites à 14 % du Pib, contre 13,8 % aujourd’hui ; un taux de cotisation définitivement fixé à 28,12 %. Compte tenu de l’augmentation du nombre de retraités – 6 millions de personnes à l’horizon 2042-2045 – et de leur espérance de vie, l’équilibre financier ne pourra être obtenu qu’en diminuant le montant des droits à retraite, déjà liquidés ou en cours d’acquisition. Conséquence : les salariés n’auraient plus aucune visibilité, contrairement à l’affirmation du gouvernement, sur le niveau de leur future pension. « Le taux de remplacement, explique encore Sylvie Durand, cesserait d’être un objectif, ce qui constitue une rupture historique. »
Reforme-retraite.info, le site de l’Ugict-Cgt dédié à la réforme
Ce site s’articule autour de plusieurs entrées : un calculateur de la baisse des pensions s’appuyant sur les données du Conseil d’orientation des retraites ; un comparateur avant-après la réforme ; un décodage de ses grands principes ; un générateur d’affiches… Il présente également les éléments montrant qu’une réforme alternative est possible (rubriques « C’est chaud » ou « Formation ») pour financer la revendication de la Cgt : un droit à la retraite à 60 ans avec un minimum de 75 % net du salaire net de fin de carrière (réforme du financement, création d’une maison commune des régimes de retraite, prise en compte des années d’études). « Un choix de retraites, c’est un choix de société », dit Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, en introduction des préconisations rendues publiques en juillet… C’est ce que met en évidence ce site en montrant qu’il n’y a aucune fatalité, ni économique ni démographique : on peut faire différemment de ce que veut le gouvernement. C. L.
La pension deviendrait ainsi une variable d’ajustement de l’équilibre financier érigé en règle d’or. Dans ces conditions, tout le monde est perdant, explique en substance l’Ugict-Cgt, qui met en garde contre le piège des simulations et des « cas types » produits par le gouvernement, visant à faire artificiellement émerger des profils « gagnants » de la réforme. En jouant, en outre, sur l’opposition entre les différentes catégories de salariés et les statuts, après le rappel des 42 régimes existants. D’où la valorisation d’une architecture des retraites, « communes à tous » avec, en particulier, la « fermeture » des régimes spéciaux, supposés « privilégiés ». Cette mise en opposition, la Cgt la refuse, comme l’a montré la première mobilisation nationale interprofessionnelle du 14 septembre, où plus de 150 000 personnes ont manifesté dans 170 villes en France. Avec la nécessité, met en évidence la journée d’étude de l’Ugict-Cgt, de recentrer le débat sur les grands principes et les véritables objectifs du projet de réforme qui toucheront, en réalité, l’ensemble de la population.
Quand la pension devient une rente viagère
Illustration avec la valorisation, toujours par le gouvernement, d’un « système plus juste » où « 1 euro cotisé vaudra les mêmes droits pour tous ». Comment comprendre cette affirmation ? De quels droits s’agit-il ? Dire que 1 euro cotisé donne les mêmes droits pour tous implique que chacun récupère, au cours de sa retraite, la somme de ses cotisations de carrière. La pension est alors égale à cette somme divisée par l’espérance de vie à la retraite : c’est le calcul d’une rente viagère. Plus l’espérance de vie augmente, plus la rente est modeste, et inversement. Ou dit autrement : plus on reporte le moment de son départ à la retraite, plus la rente augmente ; plus on part tôt, plus elle diminue… « Au mieux, nous ne pouvons récupérer que la somme de nos cotisations », souligne Sylvie Durand.
Le gouvernement a ainsi beau jeu de vanter un système flexible, une retraite à la carte permise par l’accumulation de points au cours de la carrière : « Le système universel offrira la possibilité de choisir la date de son départ en fonction de son niveau de retraite », affirme ainsi Jean-Paul Delevoye. Mais de quel libre choix parle-t-on ? Dans ses préconisations, le haut-commissaire propose que l’âge du taux plein soit fixé à 64 ans, âge qui permettrait de bénéficier d’un rendement de 5,5 % (1) présenté comme « optimal ». Le problème est que, pour un même âge de liquidation, le rendement diminuerait au fur et à mesure de l’augmentation de l’espérance de vie ; l’âge du taux plein reculerait génération après génération en devenant un levier de pilotage du système de retraite. Avec une incertitude sur la valeur du point : « règle d’or » oblige, « celle-ci sera déterminée uniquement au moment du départ en retraite, en fonction de la situation économique et démographique », démontre l’Ugict-Cgt. Privant ainsi les actifs de toute visibilité sur le montant de leur future pension.
Christine Labbe
1. Le retraité perçoit alors 5,5 euros durant sa retraite pour 100 euros cotisés.
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