Discriminations  : la Défenseure des droits demande plus de rigueur aux employeurs

Une « décision-cadre » de l’autorité indépendante fait le constat de nombreux manquements des employeurs publics et privés dans la réalisation des enquêtes internes en matière de discrimination. Elle leur adresse des recommandations pour un meilleur traitement des signalements.

Édition 066 de fin février 2025 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Plus tiers des victimes de discrimination n’ont entrepris aucune démarche pour dénoncer les faits. © BelPress/ Maxppp

Les employeurs privés et publics ont l’obligation de prendre «  les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs  ». De cette obligation, la justice a déduit que l’employeur doit ouvrir une enquête interne lorsqu’un salarié affirme être victime ou témoin de faits de discrimination, le droit considérant désormais que les discriminations incluent les situations de harcèlement sexuel et de harcèlement discriminatoire.

Pourtant, près d’un tiers des personnes qui se déclarent victimes de discrimination n’ont entrepris aucune démarche à la suite des faits (1). Dans sa «  décision-cadre  » n° 2025-19 de février 2025, la Défenseure des droits «  constate que les dispositifs de signalement sont encore peu saisis au regard de l’ampleur des discriminations  ». Ce rapport de 43 pages intitulé «  Discrimination et harcèlement sexuel dans l’emploi privé et public  : recueil du signalement et enquête interne  » se nourrit d’une analyse de la jurisprudence et des décisions rendues par la Défenseure des droits au terme de chacune de ses instructions. 

Trop d’hétérogénéité dans les pratiques

Ni le Code du travail ni le Code général de la fonction publique n’indiquent de règles à suivre pour une enquête interne. On observe donc une grande disparité dans les pratiques  : «  Certains principes sont dispersés dans des textes de loi, jurisprudences et guides, créant une insécurité juridique et une hétérogénéité des pratiques.  » Ce rapport a pour but de guider les employeurs dans le traitement des signalements et le déroulement de l’enquête interne «  afin de mieux lutter contre toutes les formes de discriminations dans l’emploi.  » 

La Défenseure des droits conseille dans un premier temps de rendre les dispositifs d’écoute et de recueil du signalement plus accessibles. Flyer d’information accompagnant les fiches de paie, présentation lors des temps d’accueil des nouveaux arrivants… Il convient de les faire connaître par tous les moyens disponibles à l’ensemble des agents et salariés sans oublier les intérimaires, stagiaires, apprentis, volontaires en service civique, bénévoles, candidats au recrutement. 

Pour une action de longue haleine

La confiance en ces dispositifs doit être renforcée par une amélioration de la transparence sur leur fonctionnement et sur leurs résultats. Un bilan annuel sans données nominatives devrait être transmis aux référents égalité/harcèlement sexuel et aux représentants du personnel. La Défenseure des droits rappelle aussi l’importance de formations aux discriminations «  répétées et non ponctuelles, d’une certaine intensité”  ». En effet, «  une action de formation d’une journée, de faible intensité et dont le contenu est essentiellement juridique, n’a pas d’effet significatif sur le niveau de discrimination à l’embauche.  » 

Lorsqu’une enquête interne est décidée, elle doit «  être ouverte dans un délai bref à la suite du signalement  ». La Défenseure des droits préconise un délai «  n’excédant pas deux mois  » après le signalement, soulignant qu’il «  n’est pas possible de reporter l’ouverture d’une enquête interne au terme d’une procédure en cours devant les juridictions civiles et administratives dès lors que, précisément, celles-ci peuvent être amenées à juger la réaction de l’employeur au signalement.  » L’enquête peut être ouverte quel que soit le délai écoulé entre les faits et leur signalement. Un arrêt maladie de la victime présumée ou de la personne mise ne cause ne constituent pas des obstacles à son ouverture.

Gare au signalement mensonger

«  Une enquête interne mal réalisée est source de risques de natures diverses pour les salariés ou agents concernés, leurs collègues et l’employeur  », rappelle la décision-cadre. La Défenseure des droits recommande de «  veiller tout particulièrement à l’effectivité de la protection des victimes présumées  ». Si des conditions de travail doivent être affectées, ce sont bien celles de la personne mise en cause, et non celles de la victime présumée. Il est important de dire que ces mesures ne constituent pas des sanctions. La Défenseure des droits préconise également que l’employeur signifie «  le plus tôt possible  » par écrit l’interdiction de représailles. Elle rappelle toutefois que si l’enquête interne devait révéler que la victime présumée «  cherchait à nuire au mis en cause ou à l’employeur au moyen d’un signalement mensonger  », elle serait passible d’une sanction disciplinaire. 

Dans une optique de réactivité, la Défenseure des droits recommande de fixer précisément la méthodologie de l’enquête interne en amont de tout signalement, «  en la formalisant après information des instances représentatives du personnel  ». Elle incite également au strict respect de l’obligation de confidentialité, qui devrait être rappelée «  par écrit à l’ensemble des personnes concernées  ». Elle suggère qu’enquêteurs comme personnes auditionnées signent une attestation de confidentialité.

Proscrire open-spaces et salles de réunion vitrées

Le lieu des auditions doit lui aussi garantir la discrétion des échanges  : lieux publics, open-spaces ou salles de réunions vitrées sont à proscrire. Que l’enquête soit réalisée en interne ou par des intervenants extérieurs, il convient de s’assurer de «  l’absence de lien direct ou indirect, passé ou présent, entre les personnes concernées et l’enquêteur  ». Veiller à ce qu’au moins deux personnes supervisent l’enquête représente «  une garantie d’objectivité et d’impartialité  ». L’organisation d’une confrontation entre les salariés concernés «  est à proscrire compte tenu des risques psycho-sociaux induits  ».

Les auditions doivent avoir pour but de rechercher «  un faisceau d’indices convergents permettant que la situation soit qualifiée de discrimination  ». La personne qui s’estime victime peut constituer ce faisceau d’indices, mais elle n’est pas tenue d’apporter une preuve directe. Elle doit «  seulement faire naître un doute raisonnable quant à l’existence de la discrimination, à charge ensuite pour la personne mise en cause de renverser cette présomption.  » 

Les entretiens doivent être menés avec rigueur

En aucun cas les enquêteurs ne devront «  s’appuyer sur l’absence d’intention de nuire de la personne mise en cause  ». Les enquêteurs doivent également prendre en compte la difficulté, pour les victimes de harcèlement sexuel, de produire des preuves, car certaines situations se produisent «  sans témoins, dans un huis clos recherché par les agresseurs  ». La Défenseure des droits observe plus généralement un manque de rigueur dans la conduite des entretiens, qui fragilise de manière récurrente les conclusions de l’enquête, la qualification juridique retenue par l’employeur et la mise en place de mesures de protection dont la victime aurait eu besoin. Les enquêteurs doivent s’assurer que les faits relatés soient les plus précis possibles, «  en demandant à chaque personne auditionnée de rappeler les circonstances, les personnes présentes au moment de faits, et faire clarifier toute déclaration trop vague  ».

Le rapport d’enquête devrait être plus détaillé. La Défenseure des droits demande notamment qu’il expose les faits allégués et leur signalement, les mesures de protection mises en œuvre, les étapes de l’enquête et les éventuelles difficultés rencontrées, les éléments de présomption recueillis, les justifications de la personne mise en cause, les propositions de qualification juridique des agissements dénoncés et le traitement envisagé.

Pas de justification «  humoristique  »

Il revient ensuite à l’employeur de qualifier les faits et de prendre les décisions appropriées, notamment en cas de sanction disciplinaire. S’appuyant sur de nombreux exemples, la Défenseure des droits attire l’attention sur l’importance de ne pas «  minimiser  » les faits ni de «  justifier les propos discriminatoires par leur caractère prétendument humoristique  ». Elle déplore également des conclusions d’employeurs en contradiction avec le contenu des enquêtes. Le fait que la personne mise en cause soit un responsable hiérarchique «  devrait être pris en compte pour alourdir la sanction  ».

Enfin, la Défenseure des droits recommande d’informer les victimes à l’issue de la procédure disciplinaire et de mettre en place un accompagnement à plus long terme. 

Réactivité dans l’ouverture et la conduite de l’enquête, protection des salariés et des agents, formations répétées et approfondies… Les préconisations de la Défenseure des droits doivent permettre de mieux traiter les signalements de discriminations, afin de lutter plus efficacement contre toutes les formes de discriminations dans l’emploi.

  1. Défenseur des droits, Organisation internationale du travail, «  17e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi  », décembre 2024.