Revue de presse -  Trop de taxes sur les grandes entreprises ? Le retour fracassant d’une obsession patronale

À peine rentré des États-Unis, le patron de LVMH s’en est pris au système fiscal français et au projet de budget qui, selon lui, mettraient en danger les multinationales du CAC 40. En brandissant la menace de la « délocalisation ». Chantage !

Édition 065 de mi-février 2025 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT

Après que 500 à 1000 chefs d’entreprises ont, à Berlin, manifesté contre l’inaction du gouvernement allemand, va-t-on voir les grands patrons français sortir dans la rue pour crier leur «  colère  »  ? A leur tête, Bernard Arnault, PDG de LVMH qui, visiblement séduit par son voyage outre-Atlantique pour l’investiture de Donald Trump, dit tout le mal qu’il pense de la France  : «  Quand on (y) revient et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40  % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal  !  ». En cause  : une surtaxe prévue dans le projet de budget qui affecterait au final les 450 entreprises les plus profitables du pays.

Il n’en faut pas plus pour que la «  rébellion  » patronale fasse les gros titres, alimentée par un champ lexical souvent guerrier. Dans L’Humanité De Bernard Arnault au patron de Michelin, les grands patrons font la guerre à l’impôt et le chantage à l’emploi – L’Humanité Cyprien Bodenga, ironise  :  «  Bernard Arnault va-t-il nous refaire le coup de mai 1981  ? À l’époque, l’élection du socialiste François Mitterrand et la peur du «  péril rouge  » avaient poussé le malheureux trentenaire à émigrer outre-Atlantique, effrayé par la politique du nouveau pouvoir. Il n’avait franchi l’Atlantique dans l’autre sens qu’en 1984, une fois rasséréné par l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius et la parenthèse keynésienne refermée…  »

Une «  envie d’ailleurs  », en terre trumpiste

 Sans surprise, cette «  envie d’ailleurs  » du patron de LVMH pour reprendre l’expression de 20 minutes, trouve un écho compatissant chez un certain nombre d’éditorialistes. Ainsi «  se fâcher  » contre les impôts et les taxes des -très- grandes entreprises semble-t-il logique à Jean-Marc Sylvestre qui, sur le site Atlantico Après le patron de Michelin, c’est celui de LVMH, Bernard Arnault, qui se fâche contre un modèle français incapable de fabriquer de la croissance | Atlantico.fr argumente  : «  Pour que la machine à faire de la croissance fonctionne, il faut d’abord de la liberté, beaucoup de liberté, moins d’impôts et moins de normes. Les impôts et les normes mangent les marges et les salaires  ». 

Curieusement, le mot «  dividendes  » semble étranger au vocabulaire convoqué par le journaliste économique. Il n’est pas plus présent dans les propos de Dominique Seux qui, dans les Echos Quand les patrons se rebiffent | Les Echos, explique pourquoi les patrons ont raison de «  se rebiffer  ». Pour l’éditorialiste du Figaro, Gaëtan de Capèle L’éditorial de Gaëtan de Capèle : « Chefs d’entreprise contre technocrates, la guerre des deux mondes », c’est «  un ultime rappel au ressaisissement  ». Sur France Inter, l’édito éco 

Les patrons se rebellent | France Inter semble dans un premier temps modérer le propos  : «  On ne dit pas que ce monde économique a raison à 100 %  ». Erreur, car c’est pour aussitôt ajouter : «  Mais on comprend que les entreprises qui, avec tous ceux qui travaillent, financent l’Etat, la Sécu et le reste, ces entreprises ont tout à fait le droit de s’exprimer elles aussi  ».

Le chantage au départ, version Medef  

Personne ne songe d’ailleurs à brider le droit d’expression des patrons. Tout en remarquant que  la nuance n’est pas  la qualité première de leurs interventions fracassantes sur les impôts et les taxes. Ce n’est pas un débat, mais un «  chantage  » lance Cathy Dos Santos dans son éditorial de L’Humanité titré «  Jacquerie  » Jacquerie – L’éditorial de Cathy Dos Santos – 31 janvier 2025 | L’Humanité : lire, agir   : «  L’élite des multimilliardaires menace de quitter le territoire  ; c’est là un sordide chantage pour tordre le bras au politique. À la manière d’un Musk et de sa chasse aux fonctionnaires, Bernard Arnault rêve de «  slasher la bureaucratie  » française. Dit plus crûment, d’éradiquer les règles et les réglementations qui régissent un État au nom de l’intérêt général. Le libertarien Javier Milei, qui charcute l’Argentine à la tronçonneuse, n’aurait pas dit mieux.  » Mais Bernard Arnault fait des émules. Dans Libération 

Le patron du Medef n’est pas étouffé par le patriotisme économique – Libération, Jonathan Bouchet-Petersen fait le constat que le président du Medef, Patrick Martin, n’est pas étouffé par la patriotisme économique, après que ce dernier lui a apporté son soutien en affirmant  : « L’incompréhension tourne à la colère. Les conséquences, ceux qui peuvent partir partent et ils ont raison. »

Une colère «  désinhibée  »  : pour quelles raisons  ?

Une analyse du Monde La colère désinhibée des PDG du CAC40 contre les taxes et les «  contraintes  »  tente de comprendre les ressorts de cette «  colère désinhibée  », contredits par les faits. Les entreprises en effet «  ont été partiellement entendues en matière fiscale. Entre 2018 et 2022, le taux normal de l’IS (Impôt sur les sociétés) a été ramené de 33  % à 25  %. La baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises a allégé leurs charges  ; l’Etat a financé l’essor de l’apprentissage  ; et l’allégement de charges de l’ex-crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi reste important. Les sociétés ont mené, sans entrave, leur politique controversée de rachat d’actions, qui absorbe une part importante des bénéfices au profit des actionnaires  ».  

Dans L’Humanité Jacquerie – L’éditorial de Cathy Dos Santos – 31 janvier 2025 | L’Humanité : lire, agir, Cathy Dos Santos s’insurge  : «  Leur indécence tutoie des sommets, à l’heure où 9 millions de Français survivent sous le seuil de pauvreté, où les inégalités explosent, à l’heure aussi où des millions de contribuables participent au juste financement des services publics.  »