Rencontres d’Options -
Rencontres d’Options (2/3) : Faire reconnaître le diplôme, une bataille permanente
Que valent nos diplômes ? La question posée par la 2e table ronde des Rencontres d’Options est d’autant plus aiguë qu’elle se pose dans un contexte bien particulier : une élévation générale des niveaux de qualification… et une stagnation des salaires.
En 2025, près de 60 % des professions intermédiaires sont, désormais, diplômées de l’enseignement supérieur. Mais le salaire ne suit pas. Leur haut niveau de qualification est déconnecté de l’implication et de la charge de travail de ces professions, comme le mettent en évidence les baromètres que l’Ugict-Cgt publie tous les ans. Cette situation, souligne Caroline Blanchot, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt, correspond à une « gabegie inacceptable ».
Entrons dans le concret. Frédéric Séchaud, sociologue du travail et chargé d’études au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), le rappelle : « Même si le taux d’emploi augmente avec le niveau de diplôme,on observe, pour un niveau licence, une perte de 40 euros mensuels sur le salaire médian entre les générations 1997 et 2015 ». Cette tendance est confirmée par l’Insee : en trente ans, le salaire médian des techniciens est passé de 2,4 fois le Smic à 1,8 fois, soit une perte nette de 810 euros mensuels. Si le diplôme demeure la meilleure arme contre le chômage, il ne protège nullement du déclassement.
Le niveau en orthographe ne suit pas le taux de réussite au bac
Ces données s’expliquent par un marché du travail tendu, selon Gwendoline Delamare-Deboutteville, directrice des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (Cpme). En dépit de la hausse du niveau de qualification, certains secteurs peinent en effet à recruter. La faute, selon elle, à des qualifications éloignées des besoins des entreprises : « La ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a indiqué que la France s’était endormie s’agissant la formation initiale et continue, et avait reculé, au sein des pays, de l’Ocde sur la productivité et la formation. »
Elle y voit une confirmation de ses certitudes. Elle insiste également sur la nécessité d’un cadre plus exigeant dès la formation initiale, en pointant une dégradation du niveau général des élèves. Elle enfonce le clou en évoquant des chefs d’entreprise « démunis face à une situation où le taux élevé de succès au bac n’empêche pas un niveau d’orthographe trop bas… »
Le marché doit-il dicter les qualifications ?
L’intervention de la Cpme provoque de vifs échanges. Les besoins immédiats des entreprises doivent-ils guider la conception des diplômes ? Quid de la culture générale et des compétences évolutives ? Les instituts universitaires de technologie (Iut), qui forment les professions intermédiaires au travers de 24 spécialités, ont historiquement cherché à combiner formation académique et expérience professionnelle. C’est ce que rappelle Nicolas Lefebvre, représentant Cgt à la Commission consultative nationale des Iut. La demande du patronat d’obtenir des salariés formés « sur mesure » est un contre sens à ses yeux.
Gwendoline Delamare-Deboutteville ne désarme pas et prend l’exemple de l’IA. Avec cette révolution technologique, « près de90 % des métiers auront disparu ou seront transformés », souligne-t-elle, sans donner de source. « Nos systèmes éducatifs ont-ils pris conscience de ces mutations ? » s’inquiète la représentante de la Cpme. « Les adéquations d’aujourd’hui sont les inadéquations de demain. Les enquêtes emploi des Iut sur les sortants, réalisées chaque année, donnent de bons retours », répond Nicolas Lefebvre. Pour lui, l’enseignement supérieur public reste agile, contrairement à l’image d’inadaptation que certains veulent en donner. La question de l’alternance est également abordée. Bien qu’il soit plébiscité, ce mode de formation connaît un taux de rupture élevé, notamment pour les jeunes en formation infrabac. Certaines entreprises utilisent les apprentis comme une main-d’œuvre temporaire et peu coûteuse, sans réelle perspective d’embauche, tempère le représentant Cgt.
La reconnaissance des diplômes affaiblie par les réformes successives
La question du niveau des qualifications est, historiquement, à l’image du rapport entre capital et travail. Ainsi au sortir de la Seconde Guerre mondiale, tout l’enjeu des arrêtés sur les salaires était de faire obstacle à l’arbitraire patronal. C’était le but des grilles établies par les ministres du Travail Alexandre Parodi puis Ambroise Croizat en 1945-1946.
Caroline Blanchot, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt, pointe deux décisions clés dans l’affaiblissement de la reconnaissance des diplômes et des qualifications. La première a été, en 2008, la modification du Code du travail par ordonnance, qui a « supprimé l’obligation légale d’intégrer les diplômes professionnels dans la construction des classifications d’emplois ». Ensuite, en 2019, « un décret a remplacé la nomenclature fondée sur les diplômes de l’éducation nationale, obtenue après 1968, par des certifications professionnelles ». Ces réformes ont ouvert la voie à une plus grande flexibilité des critères de recrutement et de rémunération, au détriment des salariés.
Ce processus de remise en cause se manifeste aussi dans les nouvelles classifications professionnelles. Les grilles salariales, notamment dans la métallurgie, ont évolué pour laisser une plus grande marge d’appréciation aux employeurs, rendant les augmentations plus incertaines. Nicolas Lefebvre dénonce cette tendance à travers laquelle les employeurs voudraient des salariés sur des postes exigeant des compétences à haut niveau, mais ne proposant qu’une faible reconnaissance salariale. Certes, « les niveaux de diplômes sont toujours massivement évoqués dans les conventions collectives, rappelle Frédéric Séchaud, mais leurs place et rôle tendent à se réduire ».
Une précarisation croissante des jeunes qualifiés
L’inflation récente a accentué la problématique du pouvoir d’achat. Entre 2021 et 2023, les prix ont augmenté de plus de 10 % en France, tandis que les salaires réels ont stagné. Cette situation renforce le sentiment de déclassement pour de nombreux diplômés. Selon une étude de l’Apec de 2022, près d’un jeune sur trois diplômés à bac +3 ou plus occupe un emploi inférieur à son niveau de qualification. Cette proportion était de 18 % en 2020. Sur ce, la réforme du marché du travail initiée en 2023 par le gouvernement a accentué la flexibilité, notamment en facilitant les ruptures conventionnelles et en réduisant l’encadrement des contrats courts. Cela a contribué à précariser certains travailleurs qualifiés, notamment les jeunes diplômés, qui peinent à s’installer dans un emploi durable.
Au-delà de ces chiffres, la table ronde met en lumière l’enjeu central de la reconnaissance des compétences et du travail. Pour l’Ugict-Cgt, la stagnation des salaires n’est pas une fatalité, mais un choix politique. Caroline Blanchot insiste : « Il y a bien une méthodique volonté de déqualifier les professions intermédiaires et techniciennes. »
La reconnaissance des diplômes : un enjeu social, politique et démocratique
Sur ce sujet, la secrétaire générale de l’Ugict-Cgt réaffirme les revendications et repères syndicaux : « La Cgt continue de dire que le salaire paie la force de travail et doit garantir le minimum d’existence. Il doit être lié au niveau de qualification et par emploi. » Dans un monde du travail en mutation, la question n’est pas seulement économique, mais aussi politique, sociale et démocratique, comme le note un auditeur depuis la salle. Elle est reconnue comme fondamentale par l’Ugict-Cgt : la reconnaissance de la valeur des diplômes est un bien commun, un patrimoine dont il faut s’emparer.
Ce qui est en jeu, c’est la réalité et la vivacité de la démocratie sociale, au sens, souligne Caroline Blanchot, où elle repose sur des « collectifs de travail stables, avec du sens pour les salariés comme lieu d’exercice d’un métier ». La dilution des métiers avec des critères abstraits est un risque pour l’avenir des salariés… comme pour le patronat. Et la secrétaire générale de l’Ugict-Cgt de conclure sur une alerte : « Dire qu’on ne reconnaît pas les diplômes et les qualifications, c’est démobilisant. C’est la porte ouverte à la montée des idées d’extrême droite. »
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