Chronique juridique -  Le Conseil constitutionnel : une instance très politique

Les « Sages » peuvent juger de la constitutionnalité de textes dont, parfois, ils ont été à l’origine en tant que députés ou membres du gouvernement. La macroniste Jacqueline Gourault en offre l’exemple.

Édition 031 de fin mai 2023 [Sommaire]

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En validant la réforme des retraites (1), le Conseil constitutionnel a prêté le flanc à diverses critiques pointant la proximité de cette institution avec le pouvoir exécutif.

Ainsi, le paragraphe 65 de la décision du 14 avril 2023 (2), juge que «  la circonstance que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues.  » Autrement dit  : le pouvoir exécutif peut mentir à la nation et à ses représentants (3), cela n’entache pas la qualité des débats.

Paragraphes 69 et 70 de la même décision, on lit que «  la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. […] En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.  »

Loi ordinaire et loi de financement

Ainsi, le Conseil admet que plusieurs procédures ont été utilisées «  cumulativement  » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’application combinée des procédures mises en œuvre présente un «  caractère inhabituel  », mais que ces procédés sont sans influence sur la constitutionnalité de ladite loi.

Par ailleurs, le Conseil reconnaît que, si les dispositions relatives à la réforme des retraites auraient pu figurer dans une loi ordinaire, comme le prévoit l’article 34 de la Constitution, le fait que le gouvernement ait opté pour une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle (4). Or, selon ladite Constitution, il existe une différence entre loi ordinaire et loi de financement  : la première détermine les principes fondamentaux du droit du travail et de la Sécurité sociale, tandis que la seconde vise à modifier en cours d’année les objectifs de dépenses de la Sécurité sociale (article L.O. 111-3-9 du code la Sécurité sociale).

En l’occurrence la loi du 14 avril 2023, précitée, n’a pas un objet financier pour l’année 2023, mais une réforme du régime juridique des retraites, sur le fond, pour les années à venir. Ainsi, cette loi fixe l’âge légal de départ à la retraite, les conditions particulières pour les seniors, les femmes, les personnes ayant commencé à travailler jeunes…

La loi du 14 avril 2023 porte donc sur les principes fondamentaux d’un nouveau régime des retraites. Ainsi, le Conseil constitutionnel a délibérément ignoré l’exigence constitutionnelle qui réserve au législateur ordinaire cette compétence.

La neutralité du Conseil constitutionnel pose question

Avant son installation, chaque membre du Conseil constitutionnel doit prêter serment, devant le président de la République. Chaque membre nommé (5) jure de «  bien et fidèlement remplir [ses] fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution  » (6).

Si, jusqu’à l’entrée en application de la procédure dite de «  question prioritaire de constitutionnalité  » (Qpc), on pouvait considérer que, dans une certaine mesure, le risque de partialité des membres de cette institution n’était guère important (encore que…), sa prégnance est bien réelle depuis.

En effet, les membres du Conseil sont désormais amenés à statuer sur la constitutionnalité de textes législatifs dont ils ont pu  :

  • être à l’origine du projet et/ou l’avoir adopté en conseil des ministres, parce qu’ils étaient membres du gouvernement  ;
  • défendre le contenu en séance au Parlement et contresigner la loi adoptée, pour la même raison ;
  • amender, avoir voté pour (ou contre) le texte, en avoir été le rapporteur, en qualité de parlementaires.

Deux anciens ministres macronistes sur neuf «  Sages  »

On peut être nommé membre du Conseil constitutionnel pour juger de la constitutionnalité d’un texte dont on a pu être à l’origine.

Or, la proportion de membres du Conseil ayant occupé des fonctions politiques nationales (Premiers ministres, ministres ou secrétaires d’État, députés, sénateurs, ou même membres du Parlement européen) est le plus souvent de l’ordre de quatre ou cinq sur neuf titulaires.

À titre d’exemple, l’actuel Conseil constitutionnel est composé de  :

  • deux anciens Premiers ministres (sans compter les autres fonctions occupées)  : MM. Laurent Fabius et Alain Juppé  ;
  • deux anciens ministres chargés des collectivités territoriales au sein des gouvernements désignés par le président Macron (sans compter d’autres fonctions occupées)  : Mme Jacqueline Gourault et M. Jacques Mézard  ;
  • un ancien sénateur (M. François Pillet).

Auxquels s’ajoutent  :

  • un ancien directeur de cabinet (d’un garde des Sceaux et du président du Sénat, qui l’a nommé au Conseil)  : M. François Séners  ;
  • une ancienne directrice de cabinet d’un garde des Sceaux  : Mme Véronique Malbec.

Or, la lecture des décisions, et notamment celle des membres ayant délibéré (apparaissant en fin de décision), démontre la rareté des cas de déport.

Jacqueline Gourault ne pouvait qu’être hostile à la Qpc

Ainsi, dans une récente Qpc relative au temps de travail des fonctionnaires territoriaux (7), Mme Jacqueline Gourault a délibéré alors que, manifestement, sa position sur le sujet était connue.

En effet  :

  • elle a approuvé le projet de loi relatif à la «  transformation de la fonction publique  » (qui contient la mesure relative aux 1 607 heures dans la fonction publique territoriale), elle l’a défendue au Parlement et a contresigné la loi  ;
  • elle a cosigné une instruction aux préfets, datée du 28 septembre 2021, leur demandant de se «  saisir pleinement de la procédure prévue à l’article L.243-2 du code des relations entre le public et l’administration, permettant au préfet de demander à tout moment à une collectivité territoriale d’abroger une délibération mettant en œuvre un régime illégal en matière de temps de travail et, le cas échéant, de saisir le juge administratif en cas de décision de refus  ». (8)

Ainsi, la position de Mme Jacqueline Gourault était connue, elle ne pouvait qu’être hostile à la demande contenue dans la Qpc, ce qui ne l’a pas empêchée de siéger et de délibérer sur cette question, malgré son serment de neutralité.

  1. Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023.
  2. Conseil constitutionnel, décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023.
  3. Plusieurs ministres, dont Olivier Dussopt, chargé du Travail, souhaitaient faire passer la réforme en proclamant que la retraite minimale serait fixée, pour toutes et tous à 1 200 euros par mois.
  4. La loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2023 a été promulguée le 23 décembre 2022.
  5. Le Conseil constitutionnel compte neuf membres. Trois sont nommés par le président de la République, trois par celui de l’Assemblée nationale et trois par celui du Sénat.
  6. Article 3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
  1. Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1006 QPC du 29 juillet 2022 – Commune de Bonneuil-sur-Marne et autres [Suppression des régimes de temps de travail dérogeant à la durée de droit commun dans la fonction publique territoriale].
  2. «  Instruction relative à plusieurs dispositions applicables à la fonction publique territoriale issues de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique  », 28 septembre 2021, page 2.