Retraites  : une réponse massive et déterminée du mouvement social et syndical

Après le regain de mobilisation du 23 mars, l’intersyndicale appelle à une dixième journée de manifestations et de grèves, dès le mardi 28 mars : jusqu’au retrait de la réforme.

Édition 027 de mi-mars 2023 [Sommaire]

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Au lendemain de l’entretien télévisé d’Emmanuel Macron, 3,5 millions de personnes ont manifesté dans toute la France. © Le Pictorium/Maxppp

Comme si les Français n’avaient décidément rien compris… Deux jours après le rejet de la motion de censure à neuf voix près, Emmanuel Macron, sourd au mouvement social qui s’exprime depuis le 19 janvier, sans majorité à l’Assemblée nationale, s’est à nouveau entêté à faire la « pédagogie  » d’une réforme selon lui «  nécessaire  », mais rejetée par plus de 90 % des actifs. Sauf en cas de censure partielle ou totale du Conseil constitutionnel, il a promis son application d’ici à la fin de l’année pour respecter le calendrier des deux mesures d’âge  : le recul de l’âge légal à 64 ans et l’accélération de l’allongement de durée de cotisation (43 annuités en 2027).

À peine son intervention télévisée terminée, le 22 mars, le mot «  mépris  » est par tous convoqué pour qualifier ses propos  : par Philippe Martinez, secrétaire général de Cgt, pour qui le président de la République n’a apporté aucune réponse aux millions de manifestations et grévistes en lutte depuis deux mois et demi ; par Laurent Berger, secrétaire général de la Cfdt, qui y ajoute le «  déni  » et le «  mensonge  », après les attaques dénonçant l’absence de «  compromis  » présenté par les organisations syndicales dans le cadre du processus de «  consultation  ». Au soir du 23 mars, l’intersyndicale le réaffirme  : «  De nombreuses alternatives ont été formulées, aucune n’a été sérieusement étudiée. »

Lors de cet entretien, Emmanuel Macron s’est érigé en seul garant de «  l’intérêt général  ». Mais seul, il l’est toujours plus, après avoir tenté d’opposer les travailleurs et «  ceux qui ne travaillent jamais  » et qui «  auront le minimum vieillesse  », les seconds étant pour lui à l’origine de la colère des premiers… Ce qui lui a valu l’indignation des associations œuvrant auprès des plus précaires, comme la fondation Abbé Pierre ou Atd Quart-Monde. Il a en outre semblé découvrir que des minimas de branche étaient inférieurs au Smic alors qu’il a ignoré les interpellations syndicales sur ce thème et refusé d’envisager toute indexation automatique des salaires sur les prix.

Les syndicats n’ont pas cessé d’alerter sur la centralité du travail, en vain. Le président prétend désormais vouloir prendre cette question «  à bras-le-corps  » en s’appuyant sur un «  dialogue  » avec les partenaires sociaux, jusqu’alors écartés. S’il cite l’usure professionnelle, notamment des seniors, et la pénibilité comme thèmes de «  discussion  », il oublie délibérément de dire qu’il a réformé le financement du Compte professionnel de prévention (C2P) au cours de son premier mandat et supprimé quatre facteurs de risques  : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques.

Tout en restant muet sur les inégalités de retraites entre femmes et hommes, pourtant au cœur du rejet massif exprimé par la mobilisation, il n’a, à aucun moment, cherché à apaiser ni à proposer une sortie de crise. Il a parié uniquement sur l’essoufflement du mouvement social ou sa radicalisation. Le registre belliqueux du vocabulaire utilisé pour qualifier les manifestations qui peuvent s’organiser spontanément (1 200 dans toute la France le 21 mars selon le ministère de l’Intérieur), la «  foule  » et son «  illégitimité  », la «  meute  », les «  factieux  », avec une référence explicite aux événements survenus au Capitole en 2021 à l’initiative des partisans de Donald Trump ou au Brésil avec les bolsonaristes, n’a fait qu’attiser la colère.

Jamais il ne s’est montré à l’écoute des signaux d’alarme envoyés de toutes parts, notamment par la Ligue des droits de l’homme qui affirme : «  La mobilisation citoyenne à laquelle le projet gouvernemental s’est heurté a manifesté, elle, toutes les vertus méconnues par le pouvoir  : sens du dialogue, culture de la responsabilité, capacité à rassembler. »

Après le recours au 49-3, une jeunesse mobilisée dans toute la France

Le 23 mars, 9e journée de mobilisation nationale à l’appel de l’intersyndicale, la réponse apportée par le mouvement social en fait la démonstration, sans discussion  : plus forte et déterminée, avec le refus de «  tourner la page  » comme le veut l’exécutif, dont la stratégie de la répression est fortement critiquée. Partout en France, des manifestations denses et compactes avec des records d’affluence égalés ou battus : dans les grandes métropoles, à Paris (800 000 manifestants), Marseille (280 000), Toulouse (150 000), Lyon (55 000) mais aussi, comme depuis le début du mouvement, dans les villes dites «  moyennes  », à Blois (10 000), Rouen (23 000), Calais avec de nombreux points de blocage (le port, la grève à Eurotunnel), Sète (6 000), Belfort…

«  Le gouvernement comptait sur l’essoufflement du mouvement après le 49-3 et l’intervention du président de la République. Mais tout nous montre qu’on est dans un jour de forte mobilisation  », avertissait Philippe Martinez au début de la manifestation parisienne. Avec un total de 3,5 millions personnes dans les cortèges, ce regain de mobilisation s’appuie sur une présence de plus et plus importante et visible de jeunes, qui expriment notamment leur profond désaccord avec le recours au 49-3 : 500 000 dans toute la France, a comptabilisé l’Unef, dont 150 000 à Paris  : «  Contre la retraite à 64 ans. Pour la prise en compte des années d’études dans le calcul de la retraite. » De nombreux lycées – 400 selon la Fidl – ou facultés sont désormais bloqués.

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À Paris, 150 000 jeunes ont rejoint le cortège des manifestants, a comptabilisé l’Unef. DR

Avec des grèves dans un nombre croissant de secteurs professionnels et des manifestations dans toutes les localités, le mouvement social et syndical confirme «  la détermination du monde du travail et de la jeunesse à obtenir le retrait de la réforme  ». Si le texte de loi est à présent soumis au Conseil constitutionnel, l’intersyndicale adressera prochainement des contributions explicitant les raisons pour lesquelles cette loi «  doit être entièrement censurée  ».

Face à l’absence de réponse de l’exécutif, les organisations syndicales et de jeunesse partagent la demande d’une consultation citoyenne ; elles sont prêtes « à y prendre toute leur part dans leur périmètre de représentation  ». D’ici là, l’intersyndicale appelle à continuer de se mobiliser, avec des rassemblements de proximité dès ce week-end et une nouvelle journée de manifestations et de grèves le mardi 28 mars, partout en France.