Chronique invitée -  Et pendant ce temps là, l’épargne retraite…

Le gouvernement nous le répète à longueur d’antenne, la main sur le cœur : l’objectif de la réforme des retraites est de sauver notre système par répartition. C’est oublier un peu vite qu’un système par répartition ne peut pas faire faillite car son financement repose sur les salaires, une assiette extrêmement large et solide. C’est oublier surtout que la retraite par capitalisation, l’épargne retraite, ne cesse de progresser en France et dans le monde.

Par Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

Édition 026 de fin février 2023 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

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Le gouvernement nous le répète à longueur d’antenne, la main sur le cœur : l’objectif de la réforme des retraites est de sauver notre système par répartition. C’est oublier un peu vite qu’un système par répartition ne peut pas faire faillite car son financement repose sur les salaires, une assiette extrêmement large et solide. C’est oublier surtout que la retraite par capitalisation, l’épargne retraite, ne cesse de progresser en France et dans le monde.

Pourquoi  ? Parce qu’à chaque fois qu’une réforme baisse les droits à retraite, celles et ceux qui ont de l’épargne sont contraint.e.s de se tourner vers la capitalisation pour tenter de maintenir leur niveau de vie. Une situation résumée très clairement par Didier Weckner, dirigeant d’AXA «  Une chose est sûre  : chaque réforme est favorable à la prise de conscience et au développement de la capitalisation  » (1).

Mais le développement de l’épargne retraite est aussi le fruit de très généreuses incitations fiscales et sociales. Ainsi alors que l’on impose des coupes sombres sur les retraites par répartition pour «  assainir les finances publiques  », on multiplie dans le même temps de coûteuses exonérations fiscales et sociales pour développer l’épargne retraite. Dernière réforme en date, la loi PACTE, portée par Emmanuel Macron en 2019. Bilan, d’après une étude du ministère du travail (2), depuis l’entrée en vigueur de la loi Pacte, les cotisations vers l’épargne retraite ont augmenté d’un tiers  !

L’épargne retraite représente donc maintenant 250 milliards d’euros, soit plus de 10  % du PIB, qui échappent à l’impôt et aux cotisations sociales. Chiffrées de façon minimaliste à 1,2 milliards par an dans l’étude d’impact de la loi PACTE, ces exonérations fiscales et sociales ne sont, bizarrement, évaluées nulle part…

En refusant toute augmentation des cotisations, le gouvernement masque une chose  : les cotisations augmenteront de toute manière, mais vers l’épargne retraite  ! Résultat  : l’explosion des inégalités, et aucune garantie, in fine de récupérer sa mise  ! Rappelons en effet que les seuls produits d’épargne retraite fonctionnant à «  prestations définies  », avec l’engagement de restituer un montant de pension, sont les retraites chapeau des patrons et des cadres dirigeants. Pour le commun des mortels, les fonds d’épargne retraite fonctionnent à «  cotisations définies  »  : seul le montant des cotisations est défini, celui des pensions dépend de l’espérance de vie, de la situation économique et de la rentabilité des placements…la roulette russe…

Alors certes, en France, l’épargne retraite reste marginale contrairement aux pays anglo-saxons. Mais sa dynamique en fait un marché juteux sur lequel lorgnent les assureurs alors que les risques liés au dérèglement climatique mettent en difficulté leur équilibre économique. Le problème de notre système par répartition n’est pas qu’il coûte cher – la capitalisation coûte au moins autant – mais que les cotisations des actifs servent immédiatement à financer les pensions des retraités et sont donc soustraites à la spéculation.

Rien de tel avec les fonds de pension dont les encours gigantesques permettent de financiariser les entreprises et de travail, à l’image des maisons de retraites ou des cliniques privées. C’est la raison pour laquelle le patronat, par la voix de Denis Kessler – encore un assureur  ! – s’est donné comme objectif de «  défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance  ».

Pour ce faire, pas besoin de supprimer la répartition, il suffit de la limiter à un filet minimum de sécurité et d’imposer un étage de retraite supplémentaire par capitalisation pour mettre la main sur l’épargne des cadres et des professions intermédiaires. Et c’est bien là l’objectif du gouvernement et du patronat.


1 Argus de l’assurance, octobre 2019

2 DREES, février 2022

Chronique initialement publiée dans L’Humanité Magazine du 3 mars 2023