Depuis cinq ans sur la Sécurité sociale, « beaucoup d’annonces et d’effets d’annonces »

Président de la Fédération des mutuelles de France (Fmf), Jean-Paul Benoit revient sur ce que le quinquennat macroniste a fait à la Sécurité sociale, et sur ce qui se dessine pour les prochaines années.

Édition 007 de mi-avril 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 4 minutes

Options - Le journal de l'Ugict-CGT
Le reste à charge zéro ne concerne en réalité qu’une partie des soins médicaux. ©IP3 PRESS/MAXPPP
Président de la Fédération des mutuelles de France (Fmf), Jean-Paul Benoit revient sur ce que le quinquennat macroniste a fait à la Sécurité sociale, et sur ce qui se dessine pour les prochaines années.

Options  : Quel est le regard de la Fmf sur le bilan du président Macron et de sa majorité sur la protection sociale ?

Jean-Paul Benoit  : Ça ne date pas uniquement de Macron, il y a une montée des inégalités dans l’accès aux soins depuis plus d’une dizaine d’années. Sans regarder vers une période bénie de la Sécurité sociale, on est passé d’une époque avec des progrès ressentis par la population à des régressions non seulement ressenties, mais constatées. La tendance à laisser les gens sur le bord de la route de l’accès aux soins n’a jamais été corrigée et le bilan s’aggrave sur certains points.

Ces régressions sont dues à une multiplication des exonérations de charges et à des politiques fiscales qui se sont faites sans aucune compensation pour le budget de la Sécurité sociale. En 2019, c’était la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale  que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) ne permettait plus de compenser ces pertes de recettes. 

Options - Le journal de l'Ugict-CGT
Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France

Y a-t-il d’autres éléments qui nuisent aujourd’hui à la couverture santé en France  ?

Le *reste à charge zéro, appelé «  100  % santé  », c’est la politique annoncée par le gouvernement pour faire croire que pour différents soins, les patients n’auraient plus à payer de leur poche. C’est une véritable fake news, car ça ne concerne qu’une partie des soins médicaux, ça ne résout rien sur les soins déjà insuffisamment pris en charge, et c’est soumis à une condition  : avoir une complémentaire santé.

Or, aujourd’hui, 4 à 5 millions de personnes n’en ont pas. Elles n’ont donc pas accès à ce «  100  % santé  » et sont plus largement entravées dans l’accès à la médecine de premiers recours. Et, le Covid l’a montré, le ticket modérateur sur les 30 premiers jours d’hospitalisation peut faire monter la facture jusqu’à plusieurs milliers d’euros !

En réalité, le bilan de Macron se résume à beaucoup d’annonces et d’effets d’annonces. Il n’y a eu aucune avancée significative sur le niveau des prises en charge, tandis que les ressources de la protection sociale ont régressé. Et un pas vers l’étatisation a été franchi avec la fongibilité du budget de la Sécu avec celui de l’État.

Les mécanismes de déséquilibre déjà présents avant le quinquennat d’Emmanuel Macron n’ont pas été corrigés, et ce sont toujours 25  % des Français qui renoncent à des soins pour des raisons principalement économiques.

Les annonces sur la «  Grande Sécu  » auraient pourtant pu préfigurer des améliorations de la couverture et de la prise en charge…

L’annonce d’une Sécurité sociale « à 100  % » manque pour le moins de précision. Nous sommes évidemment pour une protection sociale au plus haut niveau possible. Mais il y a des prérequis, notamment sur la hausse du financement – porte fermée par le gouvernement – ou la définition de ce qui est remboursable, le «  panier de soins  ». On peut aussi évoquer un scandale récent, hors assurance maladie, l’affaire Orpéa. Malgré des tarifs exorbitants, les pensionnaires des EHPAD en question étaient maltraités, mal nourris, mal soignés. Comme quoi, le tarif n’est pas gage de qualité. 

En France, le niveau de reste à charge des ménages avant intervention des mutuelles est le plus mauvais d’Europe de l’Ouest. Après les remboursements par les mutuelles, il tombe à 5  %, et on devient le pays le mieux classé. Notre système de complémentaire solidaire est donc pertinent. Le Danemark, par exemple, opère une « sélection du risque » sur les complémentaires santé, avec un questionnaire santé pour donner accès à cette couverture. C’est parce que la mutualité est forte en France que ces tris et ces tarifs selon l’état de santé des personnes n’existent pas (pas encore) dans notre pays.

Quelles sont les perspectives pour les prochaines années ? Peut-on dire que la protection sociale est en danger ?

Les maigres annonces restent floues, mais on a les grandes lignes. D’autres scénarios que le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) avait proposés restent sur la table, comme celui du décroisement  : certains soins – hospitaliers par exemple – seraient totalement remboursés par la Sécurité sociale, et d’autres – comme les soins dentaires – seraient pris en charge par les complémentaires santé. Qu’adviendrait-il alors des millions de Français sans complémentaire  ? Ils renonceraient aux soins dentaires…

Sur ces questions, le candidat Macron n’apporte aucune réponse, alors que la mutualité apporte des propositions pour résoudre ces problèmes.

Quelles sont les actions à mener pour préserver et protéger la Sécurité sociale dans ce cas ?

Il faut rétablir une équité fiscale entre les contrats de groupes et les contrats individuels, et revenir sur les avantages fiscaux et sociaux dont les premiers bénéficient. A minima, les avantages doivent être ramenés aux mêmes niveaux que pour les retraités. Il faut donc diviser par deux la taxe de solidarité additionnelle (Tsa, perçue sur les contrats de complémentaire santé) qui pèse sur les contrats individuels.

Il faut également répartir plus justement les financements entre les ménages et les entreprises. Ce rapport n’a cessé de se dégrader à travers des exonérations qui ont fait reculer la participation des entreprises.

Enfin, le renoncement aux soins est un problème économique, mais aussi un problème d’offre. Six millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. Parmi elles, 600 000 sont en affection de longue durée avec des pluripathologies. C’est une folie en termes d’efficacité du système sanitaire, et en termes de coûts. C’est une folie humaine surtout. Notre système de soins en premier recours doit être revu.

Propos recueillis par Lennie Nicollet

,