Placés sous les sièges de bureau, des détecteurs de présence sont en cours de déploiement dans les entreprises du secteur des banques et assurances. Pour quelles finalités ? Les syndicats Cgt s’inquiètent de la mise en place d’un possible outil de surveillance de l’activité.
Quiconque gare son véhicule dans un parking public n’aura aucune peine à imaginer la scène : lumière rouge quand la place est occupée, verte lorsqu’elle est disponible. Quittons maintenant le parc de stationnement pour entrer dans l’entreprise : équipés de détecteurs de présence sous les sièges, les bureaux sont de la même manière signalés libres ou occupés pour « faciliter » la gestion de l’occupation des espaces de travail. Venu des États-Unis, mis en place notamment chez Goldman Sachs ou Citigroup, le dispositif trouve désormais des amateurs dans les entreprises françaises, singulièrement dans le secteur des banques et des assurances.
Actuellement en phase d’essai ou de déploiement dans certaines d’entre elles, il se présente comme l’outil d’accompagnement idéal du flex-office, avec la mise à disposition de tous les lieux de travail de l’immeuble de bureaux. Peu importe finalement que le flex-office soit massivement rejeté par les salariés (voir encadré), ce qui prime c’est le gain de mètres carrés : « Groupama, qui occupe six immeubles à Nanterre, en région parisienne, ne devrait plus en posséder que trois à l’horizon 2024 », note ainsi Renée-Lise Talbot, déléguée syndicale centrale Cgt de l’Ues Groupama-Gan.
Natixis y réfléchit avant de déménager dans les tours Duo
Très souvent, un déménagement constitue une formidable opportunité pour mettre en œuvre ces réorganisations. Chez Natixis, ce pourrait être le cas à l’occasion de l’occupation, au printemps 2022, des tours Duo, ces deux tours penchées que les Parisiens voient désormais en bordure du périphérique, près du quai d’Ivry. C’est en tout cas la crainte exprimée par Cheikh Bousso, délégué syndical Cgt chez Natixis, groupe Bpce, deuxième groupe bancaire en France, qui constate l’intérêt porté à ces capteurs dans son secteur. Le flex-office, toujours : « Tout en développant le télétravail, l’objectif est d’économiser de la surface immobilière avec un taux d’occupation de six postes sur dix dans un contexte de réorganisation globale du groupe », explique-t-il.
Hormis les traders, dont la situation n’est pas réglée, plusieurs milliers de salariés sont concernés après la signature d’un avenant à leur contrat de travail. Si le nombre de jours télétravaillés est fixé à trois par semaine au maximum, deux possibilités sont proposées : soit dix jours par mois, soit trente jours par trimestre, ce qui représente la moitié du temps de travail. C’est au manager de décider, à l’aune notamment du respect du taux d’occupation des locaux.
Un objectif de six postes occupés sur dix
Six postes sur dix, c’est aussi le taux retenu chez Groupama pour déployer et installer le « flex », « sans que l’on sache clairement comment il a été établi, signale Renée-Lise Talbot, si ce n’est en additionnant l’ensemble des motifs d’absence des salariés sur le lieu de travail : congés payés, jours de télétravail, de Rtt, arrêts maladie… Il s’agit d’un prétexte, la direction cherchant à démontrer que, dans les tous cas, les équipes ne sont jamais à 100 % sur site, alors que l’objectif est bien d’optimiser les coûts et les surfaces ».
Là, les détecteurs de présence ne sont pas une crainte, mais une réalité mise œuvre parallèlement au déménagement du siège de la rue d’Astorg, à Paris, vers Nanterre. Leur installation a été annoncée en juin, officiellement pour faciliter la gestion de l’occupation des locaux et mieux organiser le travail : lorsque le salarié s’assoit, le capteur placé sous le siège détecte sa présence ; le poste de travail est alors signalé comme occupé, le plus souvent sur une application dédiée.
Capteurs : quelle protection des données personnelles ?
Parce que les données sont « anonymisées », ces outils seraient en conformité avec le Règlement général sur la protection des données (Rgpd), assurent en substance les directions. Pour la Cgt de Natixis, Cheikh Bousso pose la question : « Mais qu’est-ce que l’anonymat quand le salarié se connecte à un poste de travail mobile et au réseau de l’entreprise avec son ordinateur portable, déverrouillé à l’aide d’un mot de passe“classique”ou d’une empreinte biométrique ? Dans la pratique, l’identité de celui qui occupe le poste de travail peut être connue de tous », souligne-t-il.
Seconde question : quel usage peut être fait des données ? « Notre inquiétude est que ces capteurs soient utilisés comme outil de surveillance des salariés et de leur temps de travail, en renseignant sur les moments où ils s’absentent de leur siège, potentiellement des temps de pause ou d’échange avec les collègues de l’équipe », insiste Renée-Lise Talbot.
Vigilance de la Cnil
À la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), on ne voit pas de contradiction a priori avec le Rgpd, dès lors que le système n’est pas relié à un individu et n’aboutit pas un traitement de données à caractère personnel. Mais on reste vigilant sur le fonctionnement du dispositif, comme l’explique Éric Delisle, chef du service des Rh et affaires sociales : « Tout dépend de l’usage qui en sera fait. En particulier, il ne peut pas être détourné de sa finalité pour devenir un outil de surveillance de l’activité. »
Chez Groupama, les salariés sont inquiets. Plusieurs groupes de travail ont certes été réunis pour exprimer leurs besoins et leurs aspirations sur plusieurs thématiques : les règles de vie, le management, la politique d’aménagement, l’organisation du travail et la présence sur site… « Mais avec la conscience que tout est déjà bouclé », témoigne la déléguée syndicale centrale, qui fait le constat de la difficulté à mobiliser : « Leur réponse au développement du flex-office est plutôt défensive, en demandant davantage d’heures de télétravail pour ne pas avoir à revenir au bureau, et rester chez eux. »
Cela fait écho à l’analyse faite par l’Ugict-Cgt à l’occasion de la publication de sa dernière enquête sur le télétravail : « Ces organisations spatiales à marche forcée pour économiser les coûts et les mètres carrés sont un signal très négatif. En dégradant les conditions de travail en présentiel, elles reviennent de fait à imposer une forme de télétravail de repli pour se protéger de lieux de travail inadaptés. » En voici un cas pratique.
Le rejet massif du flex-office
Enquête après enquête, les salariés expriment leur rejet du flex-office. Celle réalisée par l’Ugict-Cgt montre bien une relance de la réorganisation des locaux à la faveur du développement du télétravail : plus d’un tiers des répondants affirment qu’un passage en open-space ou en flex-office est en cours. Une majorité d’entre eux jugent négativement cette réorganisation.
Jugés « impersonnels, pathogènes et générateurs d’isolement vis-à-vis des collègues », les bureaux flexibles apparaissent de plus en plus comme de véritables repoussoirs. De ce point de vue, les études « Mon bureau post-confinement » réalisées par la chaire « Workplace management » de l’Essec livrent des résultats particulièrement éclairants. Publiée avant l’été, sa 3e édition (un échantillon de 1 868 salariés interrogés entre le 21 et 30 avril 2021) met en évidence une nette préférence des salariés pour le bureau fermé, qu’il soit individuel ou partagé.
À peine 4 % des salariés interrogés opteraient pour des bureaux ouverts non attitrés. C’est bien moins que les salariés (autour de 10 %) aspirant au télétravail intégral. La crise sanitaire a amplifié ce phénomène de rejet, y compris chez les cadres : parmi ceux qui travaillaient déjà en flex-office avant la pandémie, ils sont plus de 70 % à ne pas souhaiter retrouver ces conditions de travail.
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