Commune de Paris : Plus que jamais vivante !

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La tentative du gouvernement de saisir les canons du peuple parisien provoqua l’insurrection du 18 mars 1871.
L’ouvrage d’un collectif de trente-cinq historiens réunis autour de Michel Cordillot et paru aux éditions de l’Atelier offre un panorama remarquable et nuancé de ce que fut – et reste – la Commune de Paris.

La Commune de Paris de 1871 n’a cessé de hanter l’imaginaire des révolutionnaires du monde entier, produisant un double modèle de référence, soit d’une insurrection libertaire, première appropriation moderne et démocratique du pouvoir, soit, à l’inverse, de ce que l’anarchie d’un peuple débridé peut porter en elle de violences et de désordres. Ordre, désordre : deux figures s’opposent et, avec elles, leurs représentations sociales. D’un côté, la figure du militant ouvrier aspirant à la dignité de la liberté ; de l’autre, la caricature de la pétroleuse, haineuse et avinée, symbole du dérèglement social et sexuel.

La Commune constitua un moment charnière dans le mouvement de républicanisation de la France sur la longue durée, et dans la prise de conscience que l’accession au pouvoir des représentants des classes populaires n’était plus impensable.

La paix des cimetières que fera régner Thiers ne fera qu’exacerber cet écartèlement mythifiant et il faudra attendre près d’un siècle pour que l’analyse et l’étude des faits concrets, la personnalité des acteurs, leurs motivations individuelles et collectives sortent du mythe pour s’inscrire de plain-pied dans l’histoire. C’est que la charge symbolique est énorme. Comme le souligne Michel Cordillot, coordinateur de l’ouvrage (1), « la Commune constitua un moment charnière à la fois dans le mouvement de républicanisation de la France sur la longue durée, et dans la prise de conscience que l’accession au pouvoir des représentants des classes populaires n’était plus du domaine de l’impensable, ouvrant ainsi la voie aux luttes sociales et politiques à venir. Aussi ce bref moment constitua-t-il une vraie séquence en rupture avec l’ancien monde, durant laquelle l’avènement d’un monde nouveau répondant enfin à des espérances populaires plusieurs fois déçues redevint brièvement d’actualité ».

De fait, la commémoration des 150 ans de la Commune de Paris a donné lieu à une floraison de publications, de manifestations et d’initiatives militantes, venant s’ajouter à un patrimoine déjà impressionnant. Ce foisonnement atteste de la vivacité des débats, de la permanence des enjeux de mémoire et des relectures ultérieures de l’évènement, y compris d’ailleurs parmi ceux qui s’en sont réclamés et s’en sentent toujours héritiers.

La Commune, une réalité humaine au-delà des clichés

L’héritage est donc riche et mérite d’être connu, mieux encore : exploré. Que fut donc, en réalité, la Commune de Paris ? Quels enjeux a-t-elle soulevés, et quelles controverses en entourent la mémoire ? Quels lieux emblématiques de la capitale a-t-elle marqués de son empreinte ? Enfin, et surtout, qui étaient celles et ceux qui y ont pris part ? Que furent leur vie, leurs engagements ? Sur cet ensemble de questions, l’ouvrage des éditions de l’Atelier apporte un lot de réponses remarquable, à la fois claires, accessibles et érudites, tant sur le fond que sur la forme.

De fait, cet ouvrage, regroupe l’ensemble des connaissances cumulées au sujet de la Commune. Richement illustré, il constitue une entrée sans équivalent dans cette page encore trop mal connue de l’histoire sociale française et internationale. Certes, l’objet intimide. Mille quatre cent et quelques pages, il y a de quoi faire hésiter n’importe quel lecteur. Mais ce moment est de courte durée, car en même temps qu’il impressionne, ce livre séduit. Le regard, très vite, s’y fraie son chemin. La maquette, élégante et délicate, facilite les entrées et le lecteur se surprend assez rapidement à « surfer » d’une illustration à l’autre, d’une biographie à la suivante.

À cet égard, il s’opère quelque chose de rare, de poétique presque, dans la relation qui se construit entre les textes proprement dits et les documents, dont la plupart proviennent de donations familiales, dépôt de reliques faisant écho aux voix des fusillés d’il y a 150 ans. Un beau livre, donc, au sens où l’on parle de ceux que l’on offre ou qu’on souhaite se voir offrir, mais également parce que sa beauté plastique renvoie, magiquement presque, à celle de l’événement lui-même, de celles et ceux qui en furent les acteurs.

Les intellectuels et les cadres, fortement présents

Ce retour des morts s’opère par la grâce d’un échantillonnage raisonné de quelque 500 notices biographiques extraites du site du dictionnaire Maitron en ligne (2). Chacune d’entre elle est aussi brève qu’attachante et réussit le tour de force de nous rendre proches et vivants ces femmes et ces hommes, avec leurs origines, leurs engagements, leurs métiers, vont « faire commune ». Ces 500 portraits vont des plus connus aux plus modestes, faisant la place aux inconnus, aux fusillés ou aux condamnés à l’exil sous X, dont témoignent des photos non identifiées. Cette richesse biographique permet de prendre de la distance avec « le communard ». Cet archétype n’existe pas. Héros collectif, il est en fait incarné par une humanité d’une fascinante diversité professionnelle… Relevons que nombre d’entre eux, à l’image d’Eugène Varlin ou de Jean Allemane, tous deux ouvriers du livre, incarnent de façon symbolique le prolétariat qualifié montant.

D’autres attestent d’un engagement révolutionnaire chez ceux qu’on n’appellera que bien plus tard des « intellectuels » ou des « cadres ». On pense ainsi à André Alavoine, sous-directeur de l’Imprimerie nationale ; à Hector Aubry, chef du bureau de la caisse a la recette principale des postes ; à Jean Barberet et à Jules Vallès, journalistes ; également aux nombreux militaires gradés, déployant leur savoir-faire au service de la Commune, comme Pierre Martine, président du jury du concours de recrutement d’officiers d’état-major.

Enfin, ce voyage en biographies, dont chaque page réserve une surprise, permet d’apprécier à sa juste valeur la part que prennent les femmes dans ce processus révolutionnaire. Parmi celles que l’on flétrira de l’expression de « pétroleuses », on pense évidemment à Louise Michel mais aussi André Léo, journaliste socialiste et féministe, présidente de la commission de l’enseignement professionnel des jeunes filles ou encore à Élisabeth Dmitrieff, émissaire du conseil général de l’Internationale, cofondatrice et dirigeante de l’Union des femmes…

Ce kaléidoscope est d’une telle richesse qu’il pourrait donner le tournis, n’était le classement par listes récapitulatives de métiers et de nationalités, et la présence d’annexes regroupant les communards par institutions ou par fonctions, s’agissant des services publics ou des chirurgiens des bataillons.

Un outil multiforme pour un événement multidimensionnel

Intercalées entre ces listes, cinq grandes parties à vocation analytique permettent de saisir la puissance du projet qui saisit les acteurs et les transfigure en une histoire en marche. Les fiches biographiques se retrouvent ainsi inscrites dans une perspective historique redonnant toute leur dimension dynamique aux événements, à leurs chronologies, au contexte des fronts multiples que la Commune affronte. Signalons enfin que chacune des contributions constitutives de ces cinq ensembles s’achève par une bibliographie « pour aller plus loin », et que le lecteur passionné pourra se référer aux cartes interactives des lieux d’habitation des communards, de leurs cafés, des barricades et d’autres encore, qui se trouvent sur le site du Maitron.

On s’attardera plus particulièrement sur les deux derniers de ces ensembles, consacrés aux « débats et controverses » qui animent les communards et qui leur survivent aujourd’hui. Comme le note Roger Martelli dans sa contribution, « il n’est pas absurde de placer la Commune, “ce sphynx qui met l’entendement bourgeois a si dure épreuve” (Karl Marx) sous l’intitulé de l’utopie. Elle est, comme le rappelle Pierre Rosanvallon, un de ces moments “où le peuple se manifeste dans l’incandescence de l’événement”. Elle relève donc des césures par lesquelles l’histoire échappe à la fatalité, où se renégocient les limites du dicible et de l’indicible, du légitime et de l’illégitime, du possible et de l’impossible ».

Raison pour laquelle cette utopie charrie à travers l’histoire une série de problématiques d’une brûlante actualité. On pense évidemment, entre autres, à la question centrale de la représentation, à la redoutable efficacité de la répression, au rapport compliqué de la Commune à l’idéal républicain. Autant de sujets qui, aujourd’hui encore, animent les réflexions politiques de celles et ceux qui, à un titre ou à un autre, s’acharnent à monter, encore et toujours, « à l’assaut du ciel ».

  1. Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris, 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, L’Atelier, 2021, 1 440 pages, 34,50 euros.
  2. https://maitron.fr