Retraites : le Conseil d’État frappe deux fois

Temps de lecture : 2 minutes

Photo : Philippe Turpin/Beneluxpix/Maxppp
Coup sur coup, Les remarques du Conseil d’État remettent en cause le fond des politiques gouvernementales. Elles cognent dur.

Sur le projet de réforme des retraites, les conseillers se montrent exceptionnellement cruels. Sur la forme, ils critiquent l’insuffisance de l’étude d’impact et, avec elle, l’impossibilité d’effectuer des projections financières autres que « lacunaires ». Ils soulignent la perte de visibilité d’ensemble du fait, entre autres, du recours aux ordonnances, perte qui les amène à douter de la constitutionnalité du texte ! Enfin, ils déplorent de n’avoir pu disposer que de trois semaines pour rendre leur avis, laps de temps évidemment insuffisant pour un examen juridique sérieux. Mais les conseillers ne s’en tiennent pas là.

Le Conseil d’État, à travers une série de considérations sur l’importance du sujet, qualifié de composante majeure du contrat social, met en cause la dimension d’urgence évoquée par le gouvernement pour réformer. Enfin, il nie que le projet de loi crée un « régime universel » et considère quasi impossible de stabiliser son budget à 14 % du Pib. Pour résumer, le Conseil d’État invite le gouvernement à renoncer à un projet qu’il juge mal ficelé, mais surtout contraire aux valeurs constitutionnelles.

Ce premier camouflet administré au titre de conseil a été suivi d’un autre relevant, celui-là, d’une procédure d’urgence, au titre de juge administratif, saisi par des élus. Il vise à suspendre l’application de la circulaire par laquelle Christophe Castaner entendait, si ce n’est redessiner la carte électorale, du moins la recolorier à son goût. Au-delà des éléments d’appréciation comptable qu’il sanctionne, le juge administratif critique un système visant à assurer au parti du président et à ses alliés une visibilité maximum. Si le terme de tripatouillage n’est pas utilisé, l’idée, elle, plane sur le texte. De fait, la critique, ici, déborde de son strict cadre juridique pour mordre sur le terrain politique.

Cette virulence dans l’expression peut s’expliquer par des motivations d’opportunité comme, par exemple, la volonté de marquer son terrain vis-à-vis du gouvernement et d’afficher son indépendance. Mais elle exprime surtout un malaise de plus en plus sensible entre une culture de grands commis de l’État « à l’ancienne », attachés à un certain nombre de valeurs marquées par l’idéal républicain, fussent-elles de droite, et une autre caste issue, elle, d’un parcours « hors partis » : entreprises du privé, secteurs financiers, pour qui l’État n’est jamais qu’un produit à restructurer parmi d’autres.

Ce conflit entre, d’un côté, une certaine idée de l’État et de l’autre, un État qui ne serait que le jouet d’un exécutif de surcroît peu élu ou mal élu, n’est évidemment pas mineur. Il intervient, de fait, à un niveau particulier, comme l’un des éléments du rapport de force qui traverse le débat public sur l’avenir des retraites et, au-delà, sur celui de la démocratie et de la République.

Louis Sallay