Greenwashing : les étudiants voient rouge !

Temps de lecture : 6 minutes

©Julien Mattia / Le Pictorium/MAXPPP – Julien Mattia / Le Pictorium – 19/04/2019 – France / Ile-de-France / La Defense – Les associations Greenpeace et ANV COP 21 ( Action non violente Cop 21 ) ont investit le parvis de la defense, dans une action commune visant les societes polluantes tel EDF, TOTAL, la Societe Generale et ont occupes le Ministere de la Transition ecologique et solidaire. / 19/04/2019 – France / Ile-de-France (region) / La Defense – The associations Greenpeace and ANV COP 21 (non-violent action Cop 21) have invested the forecourt of the defense, in a joint action targeting polluting companies such as EDF, TOTAL, Societe Generale and occupied the Ministry of Ecological and Solidarity Transition. (MaxPPP TagID: maxnewsworldfour804354.jpg) [Photo via MaxPPP]
Très actifs dans les fortes mobilisations pour le climat, les jeunes entendent prendre leur avenir en main dès leurs études, en pesant sur les contenus de formation et sur les stratégies des entreprises qui veulent les embaucher.

« Supprimer les touillettes en plastique et installer des ruches sur le toit de l’entreprise, c’est bien. Mais si la transition écologique n’est pas au cœur de la stratégie d’entreprise, c’est juste du greenwashing ! » Amélie Clerc, étudiante en dernière année de Master de management à l’École supérieure de commerce de Paris (Escp) fait partie du Collectif pour un réveil écologique. Comme 32 000 étudiants jusqu’à présent, elle a signé le manifeste lancé en septembre 2018 par un groupe d’étudiants de grandes écoles (lire encadré). En exprimant leur frustration face à l’ampleur du défi écologique et au peu d’actions engagées, ils ont décidé de prendre leur avenir en main en affirmant collectivement leur détermination à changer un système économique en lequel ils ne croient plus. « Nous voulons dénoncer les incohérences d’un un système basé sur une logique de surconsommation, incompatible avec les enjeux climatiques. » Ce discours peu habituel sur les campus des grandes écoles a eu un écho important dans le monde enseignant et dans l’entreprise.

Le collectif partage ses idées et ses outils pour passer à l’action sur une plateforme collaborative 1. Il s’agit d’aider les étudiants à mobiliser leurs écoles et universités pour mieux se former sur les questions écologiques, et d’éclairer les futurs jeunes diplômés dans le choix d’un employeur suffisamment engagé dans la transition. « La première question qu’on doit se poser est fondamentale : quelle est l’utilité de l’entreprise ? Son cœur de métier est-il compatible avec la transition écologique ? » poursuit Amélie. L’entreprise est également analysée au regard des ressources humaines, de la hiérarchie, de l’accès des salariés à une formation continue sur les enjeux climatiques. Benoît Halgand, élève en 3e année à Polytechnique, explique pour sa part que « pour juger du sérieux des engagements, il faudra aussi regarder s’il y a des initiatives concernant la rémunération variable des cadres. Est-ce qu’ils seront jugés uniquement sur leurs performances économiques, ou aussi sur des performances environnementales et sociales ? » L’entreprise a-t-elle des objectifs de réduction annuelle des émissions de gaz à effet de serre ? La neutralité carbone est-elle visée, à quelle échéance ? La plateforme publie également les réponses à un questionnaire envoyé à une centaine de Pdg de grandes entreprises. La moitié d’entre eux seulement a bien voulu répondre, des réponses « à lire avec des pincettes et en jetant un coup d’œil au guide anti-greenwashing » pour distinguer les affichages cosmétiques des stratégies réellement innovantes.

Deuxième levier d’action, le contenu des enseignements. Dans les grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, les enjeux climatiques ou la transition énergétique sont encore cantonnés à des cours optionnels ou des spécialisations. Pas de formation globale ni de socle commun.

L’utilité de l’entreprise ? Question centrale

Dans un rapport publié en 2019, « Former les étudiants pour décarboner la société » 2, le think tank The Shift Project a passé au crible 34 établissements du supérieur. Le constat est édifiant : 76 % des formations ne proposent aucun cours abordant ces questions. Sur les 24 % restants, seuls 11 % sont obligatoires. Pour Clémence Vorreux, responsable Enseignement supérieur au Shift et copilote du rapport, « si on veut réussir la transition, il ne faut pas uniquement une population sensibilisée, ce qui est globalement le cas, mais des citoyens informés et formés pour comprendre les enjeux climatiques ». Malgré tout, les lignes bougent. En septembre, 80 dirigeants d’établissements supérieurs et 1 000 enseignants chercheurs ont signé un appel à former tous les étudiants du supérieur aux enjeux écologiques. Initié par le Shift Project, cet appel demande qu’« aucun étudiant, quel que soit son âge, ne puisse valider une formation dans l’enseignement supérieur sans avoir compris les causes, les conséquences du changement climatique et travaillé, à son niveau, à l’identification de solutions possibles ». Clémence Vorreux insiste aussi sur la nécessité d’un soutien institutionnel : « L’État doit définir une stratégie nationale de l’enseignement supérieur pour le climat. Orienter le financement, créer un vice-président climat dans les écoles et universités, valoriser l’enseignement dans la carrière des enseignants chercheurs. »

Face aux pressions, les écoles commencent à intégrer ces problématiques. Pour Amélie Clerc, « il ne s’agit pas de former des directeurs Rse, mais que chaque salarié, que ce soit le directeur commercial, le directeur des opérations, ait été formé à ces enjeux pour pouvoir l’intégrer ensuite à son activité. Nous voulons un enseignement transversal ». Même tonalité à Polytechnique. Depuis un an, un groupe de travail s’est mis en place pour faire évoluer la formation, coconstruite par des élèves du Ddx (l’association Développement durable de Polytechnique), l’administration, les professeurs qui travaillent sur ces questions et d’anciens élèves de l’école. Un séminaire de deux jours pour les étudiants en première année a été créé. « L’idéal ce serait d’avoir un cours complet dans le tronc commun. Cela reste de la sensibilisation, on n’est pas complètement évalués dessus », regrette Benoît Halgand, même si un cycle de conférences mensuelles « Ingénieurs de demain » valide un complément de diplôme.

Des discours aux actes, écoles et entreprises encore ambiguës

Dans les grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, les enjeux climatiques ou la transition énergétique sont encore cantonnés à des cours optionnels ou des spécialisations. Pas de formation globale ni de socle commun. D’évidence, les étudiants le vivent mal…

Le développement durable est le premier secteur dans lequel veulent travailler les étudiants de l’X. Mais ils sont surveillés comme le lait sur le feu, car des tensions très vives ont eu lieu dans l’école ces derniers mois. Les polytechniciens sont mobilisés contre le projet d’implantation sur leur campus de la direction de la recherche et de l’innovation du groupe Total. La construction, qui devait démarrer au 1er trimestre 2020, a été retardée. Les étudiants, sous statut militaire et contraints au droit de réserve, ont créé un site, Polytechnique n’est pas à vendre (Polytechniquenestpasavendre.fr), pour dénoncer l’influence assumée d’une entreprise privée sur une école publique formant plus de 40 hauts fonctionnaires par an. Total aurait un accès exclusif aux futurs décideurs de la politique énergétique française, complétant ainsi sa stratégie de lobbying sur le plateau de Saclay. Une pétition lancée par 350.org a déjà recueilli plus de 6 000 signatures. « Contrairement à son éthique d’excellence, Polytechnique offre son image à un cancre, affirme l’Ong. Total a financé la production d’hydrocarbures pour 9,2 milliards de dollars en 2018 » et vient d’être assigné en justice pour inaction climatique par 14 collectivités et 5 associations.

L’indépendance de la recherche, en grande partie pilotée par le privé, pose problème : « Si l’État ne prend pas en charge une plus grande partie de la recherche pour l’orienter vers la transition, on ne peut pas mettre les entreprises dehors parce que les établissements en ont besoin, estime Clémence Vorreux. Il faut qu’il y ait d’autres représentants qui défendent l’intérêt général pour contrebalancer l’influence des entreprises dans les écoles. » Les étudiants des grandes écoles en sont bien conscients : très recherchés par les grandes entreprises, ils pourront choisir leur futur employeur. « Même quand on n’a pas le choix, on peut essayer de porter en interne ces engagements » : Benoît Halgand reconnaît que « changer l’entreprise, c’est compliqué mais une des manières d’y parvenir c’est de se regrouper, de mettre en lien des personnes d’une même entreprise qui peuvent être dans différentes filiales, de créer des groupes de pression, de discussion en interne sur ces questions, de faire de la pédagogie ».

Le collectif essaie de pousser à un changement systémique en travaillant avec des syndicats étudiants et d’autres associations de jeunesse comme CliMates 3 et le Refedd 4 pour mutualiser les forces et veiller à ce que les évolutions souhaitées puissent également œuvrer à plus de justice sociale. « Nous n’avons pas choisi les grèves pour nous exprimer, mais c’est très bien que les modes d’action se complètent. J’ai fait deux marches pour le climat, poursuit Benoît Halgand. C’est important aussi d’y aller et de ne pas s’isoler dans nos initiatives. On sait que ce sont les plus riches qui ont l’impact le plus important sur la planète, et que ce sont les plus pauvres qui subiront le plus les conséquences de ce dérèglement. Si on est engagés sur ces questions environnementales, ce n’est pas juste pour sauver la planète, mais aussi pour plus de justice sociale. »

Nathalie INCHAUSPÉ

1. https://pour-un-reveil-ecologique.org

2. « Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat. Former les étudiants pour décarboner la société », The Shift Project, mars 2019.

3. Laboratoire d’idées et d’actions présent dans une trentaine de pays. Son objectif est de former les jeunes autour des enjeux du changement climatique.

4. Réseau français des étudiants pour le développement durable.

,