Retraites : ce qui attend l’encadrement

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Comme un coup de semonce : la journée d’action nationale du 11 avril 2019 en défense des retraites. Photo : Thomas Padilla/Maxppp
Privé de ressources supplémentaires, le système universel à points organisera la baisse des pensions de retraite, utilisées comme variable d’ajustement pour parvenir à l’équilibre financier. Personne, donc, n’y gagnera. Parmi les plus impactés : les ingénieurs et cadres.

Comment détourner l’attention des véritables objectifs de la réforme des retraites ? Rendu public en juillet, le rapport de Jean-Paul Delevoye utilise une vieille ficelle. Alors qu’il détaille les propositions pour parvenir à « un système universel simple, plus juste, pour tous », il faut atteindre la fin de l’argumentaire pour trouver sa véritable ambition, ainsi résumée dans une « règle d’or » : « Le système universel est conçu à enveloppe constante. Au moment de son entrée en vigueur, le poids des recettes sera maintenu constant, de même que celui des dépenses. » Pour Sylvie Durand, membre du bureau de l’Ugict-Cgt, « c’est en réalité un double verrouillage financier que met en place le projet de réforme ».

D’une part, le blocage de la part des richesses affectée au financement des retraites à 14 % du Pib, contre 13,8 % aujourd’hui ; d’autre part, un taux de cotisation définitivement fixé à 28,12 %. Dans la mesure où la population retraitée va augmenter d’environ 6 millions de personnes d’ici à 2042-2045, la conséquence de ce verrouillage est simple : « Il organise la baisse des pensions de retraite, utilisées comme une variable d’ajustement pour équilibrer le système », poursuit-elle.

Un système perdants-perdants

Dans ces conditions, personne ne peut y gagner. L’équilibre financier s’apparente au partage d’un gâteau dont les parts vont diminuer au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de retraités et de l’allongement de l’espérance de vie à la retraite. Certains, d’ailleurs, devront perdre beaucoup pour que d’autres perdent un peu moins. Parmi les plus impactés : les ingénieurs et cadres. Ce n’est pas un hasard s’ils sont absents des cas types exposés dans le dossier de Jean-Paul Delevoye. « Ils seront parmi les grands perdants de la réforme », prévient Sylvie Durand.

Deux données essentielles permettent de le comprendre : le taux de cotisation de 25,31 % permettant d’acquérir les points, et le rendement de 5,5 % de la cotisation (pour 100 euros cotisés, le retraité perçoit 5,50 euros durant sa retraite) présenté comme « optimal » à l’âge du taux plein (64 ans). Avec ces éléments, il est possible de déduire la durée de cotisation nécessaire pour partir avec une pension équivalente à 70 % du salaire. L’Ugict-Cgt a fait les calculs en prenant le cas d’un salarié dont la rémunération de carrière évolue comme le salaire moyen de l’ensemble des salariés : « Il en résulte qu’il faudrait cotiser 54 ans pour obtenir 75 % de son salaire (ce qui correspond à un départ en retraite à 77 ans pour un bac + 5) ou 43 ans pour obtenir 60 % de son salaire », détaille Sylvie Durand.

Il n’y aura pas d’autre solution que de partir beaucoup plus tard, ce qui n’empêchera pas un décrochage important entre le salaire de fin de carrière et le montant de la pension. Autre annonce de diversion : 100 % des actifs, dit le rapport, seront couverts par le système universel et s’ouvriront des droits sur la totalité de leur rémunération. Mais, précise-t-il entre parenthèses, « dans la limite de trois plafonds de la Sécurité sociale, soit jusqu’à 120 000 euros ». C’est justement le cas de 10 % des cadres, qui ne pourront plus se constituer, sur la totalité de leur salaire, de droits à la retraite par répartition.

Le projet de réforme prétend les contraindre à épargner sur des produits bancaires ou assurantiels qui ne garantissent même pas la restitution de l’épargne, un « encouragement » traduit dans la loi Pacte relative à la croissance et à la transformation des entreprises. À cela, il faut ajouter un autre risque, lié à l’attribution de points en cas de périodes d’inactivité subie – maladie, chômage, maternité… – inscrites au chapitre « solidarité » (25 % du total des droits à la retraite). « Il est en effet prévu que les prestations solidaires des régimes de retraite soient transformées en aides sociales, c’est-à-dire financées par l’impôt, précise Sylvie Durand. Ce qui impliquerait leur versement sous condition de ressources, excluant ainsi de leur bénéfice une grande partie de l’encadrement. Dit autrement, les effets des accidents de carrière sur le montant de la pension ne seraient plus, pour les ingénieurs, cadres ou techniciens supérieurs, neutralisés ».

Femmes : une solidarité en trompe-l’œil

Avec un salaire horaire inférieur de 16,3 % à celui des hommes, les femmes seraient particulièrement pénalisées. Comme le précise à juste titre le rapport Delevoye, les femmes ont aujourd’hui une pension moyenne inférieure de 42 % à celle des hommes. Pour corriger cette inégalité, l’une des mesures envisagées porte sur les droits familiaux : une majoration de 5 % des points attribuée dès le premier enfant, au lieu des 10 % accordés actuellement à chaque parent d’au moins trois enfants. Mais la future majoration serait à partager entre les deux parents au lieu de bénéficier aux deux, ce qui pénaliserait de nombreuses familles puisque, pour un couple avec trois enfants, la majoration ne serait plus que de 15 % au lieu de 20 % actuellement.

En outre, la mesure de solidarité est entachée d’une absurdité : si les points sont partagés entre les parents, c’est avant les 4 ans de l’enfant qu’il faut décider de leur bénéficiaire, le père ou la mère. Premier problème : il sera plus intéressant financièrement d’opter pour le parent dont le salaire est le plus élevé – vraisemblablement le père. Second problème : que signifie ce choix en cas, de séparation ?…

Si la réforme devait être adoptée, elle serait appliquée à partir de 2025 pour la génération née en 1963. Mais elle aurait un effet sur toutes les pensions liquidées antérieurement, s’agissant de leur revalorisation, voire de leur diminution en cas de chute du Pib. Avec des ressources figées, l’équilibre financier serait nécessairement obtenu, à âge de départ inchangé, par une baisse de la valeur de service du point, génération après génération, et donc par la baisse des retraites, sans aucune garantie ou visibilité sur le taux de remplacement. C’est en creux d’ailleurs qu’apparaît cette réalité dans le rapport : si ce dernier met en exergue des cas types de salariés nés dans les années 1980, l’un au salaire moyen, l’autre au Smic, il passe sous silence les taux de remplacement attendus pour les personnes qui feront toute leur carrière sous le nouveau régime universel.

Christine Labbe

Concertation

Alors que Jean-Paul Delevoye a intégré le gouvernement comme haut-commissaire à la réforme des retraites, la Cgt a été reçue, le 6 septembre, par le Premier ministre, afin de recueillir une nouvelle fois son « appréciation » du rapport publié en juillet. Lors de cette rencontre, Édouard Philippe a défini le périmètre des échanges à venir sur la mise en place du système universel à points : la définition du système et la question des solidarités ; l’équilibre financier du régime en 2025 ; la fusion des régimes, les échéances et la garantie en matière de transition, notamment en ce qui concerne les régimes spéciaux.

Après avoir réitéré son opposition au projet, la Cgt a mis en lumière l’existence d’alternatives, « à la condition que la question du financement soit enfin prise en compte », en formulant un certain nombre de propositions. Citons : la mise en œuvre de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes qui permettrait d’abonder les ressources des différents régimes à hauteur de 6 milliards d’euros ; la reconnaissance de la pénibilité, avec notamment un droit de départ anticipé à 55 ans, voire à 50 ans pour les métiers les plus pénibles ; le droit de travailler jusqu’à la retraite dans le cadre d’une réelle Sécurité sociale professionnelle.

Enfin, la Cgt revendique la validation de trois années d’études, de formation initiale ou continue, de recherche du premier emploi ou de période de précarité pour les jeunes. L’acquisition des droits serait assurée en partie par l’État, l’autre partie sous la forme de cotisations payées les entreprises, bénéficiaires de la qualification acquise par les salariés. C. L.