Psychiatrie : Un pognon de dingue ?

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Les personnels soignants ont manifesté le 22 janvier 2019 à Paris. Photo : Fred Haslin/Le Courrier picard/Photopqr/Maxppp
La rallonge de 40 millions accordée fin janvier n’est pas à la hauteur des mesures qui s’imposent pour combattre la crise dans laquelle s’enfonce tout un secteur.

Avant que l’incendie meurtrier commis à Paris dans la nuit du 4 au 5 février ne ravive le débat sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux, des centaines de médecins et de personnels soignants avaient tiré la sonnette d’alarme. À Saint-Étienne, au Rouvray, à Auch, à Amiens, à Niort, à Paris, au Havre ou encore à Lannemezan, partout des mouvements ont éclaté ces derniers mois pour obtenir des lits, des emplois et des moyens supplémentaires pour assurer l’accueil des malades dans des conditions décentes et assurer des soins de qualité. La psychiatrie est à bout. Les pathologies qu’elle recouvre sont, en France, selon un rapport de la Cour des comptes de 2011, au troisième rang des maladies les plus fréquentes derrière le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Et pourtant rien. Rien, ou si peu.

Pour solde de tout compte, Agnès Buzyn a annoncé le mois dernier 40 millions d’euros supplémentaires pour la santé mentale en 2019. La somme peut paraître rondelette. « Elle ne représente que la moitié du budget de l’hôpital psychiatrique de Cadillac », témoigne Laurent Laporte, cadre de santé, secrétaire général de l’Ufmict-Cgt. « À peine de quoi combler le déficit de la plupart des établissements », confirme Gilles Métais, psychologue, représentant Cgt au centre hospitalier Laborit de Poitiers. Un jour, peut-être, existera-t-il des vaccins contre les troubles mentaux. Pour l’instant, la maladie mentale affecte, selon la Cour des comptes, entre 5 % et 10 % de la population française et les personnels en charge de ces soins sont frappés de plein fouet par une logique comptable dévastatrice.

Faute de formation adéquate

« Il faut du temps pour prendre en charge la schizophrénie, les troubles bipolaires ou les addictions. Et si ce n’est pas le cas, nul ne peut prévoir le nombre de jours qui seront nécessaires pour permettre à un patient de reprendre le dessus », expliquent, chacun à leur façon, ces deux militants. Si, dans les hôpitaux généraux, la réduction des budgets a dégradé la qualité de l’accueil et de la prise en charge due aux malades, dans le secteur psychiatrique, elle a tout simplement entamé la qualité des soins, ajoutent-ils. « La vision bureaucratique que sous-tend cette vision purement financière du secteur a engendré des pratiques dignes d’un autre âge, tournant le dos aux apports de la psychanalyse et renforçant une conception de plus en plus coercitive de la maladie mentale. Et, au bout du compte, en entamant la vision humaniste de la psychiatrie, c’est notre métier qu’elle a transformé », poursuit Jocelyne Goût, infirmière, élue Chsct à l’hôpital de Cadillac, en Gironde.

De 1973 à 1992 existait un diplôme d’infirmier spécialisé en psychiatrie. Le choix d’en finir avec ce titre pour fondre la formation de ces professionnels dans toutes les autres a consigné l’abandon d’une politique de santé mentale ouverte sur le patient, sa souffrance et la nécessaire spécificité de sa prise en charge. Les départs massifs des infirmiers formés à cette démarche ont fait le reste. Résultat, dénoncent ensemble Jocelyne Goût, Gilles Métais et Laurent Laporte, les jeunes diplômés sont perdus et les malades trop souvent malmenés.

Faute de temps, faute de partage et d’échange avec les équipes, les nouveaux infirmiers parent au plus pressé en recourant plus que de raison à la contention. Débordés par les cas et leur difficulté, ils mobilisent des camisoles physiques ou médicamenteuses qui, il y a quelques années encore, n’étaient plus utilisées qu’en appoint  : « Au travail de proximité, d’écoute et de soins qui fondait il y a quelques années encore la psychiatrie s’est substitué un retour dramatique à la répression et à l’exclusion du malade. »

D’une certaine façon, il est vrai, Agnès Buzyn a pris acte du problème en annonçant le mois dernier la création d’une « formation d’infirmiers de pratiques avancées en psychiatrie ». « Mais pourquoi en est-elle restée là ? Pourquoi ne pas avoir restauré la spécialité alors que d’autres secteurs hospitaliers bénéficient de formations d’infirmiers spécialisés ? demande Laurent Laporte. Parce qu’il aurait fallu payer la qualification qu’aurait induite un diplôme spécialisé ? Parce que les malades mentaux ne sont pas de ceux qui s’expriment et revendiquent ? »

L’Ufmict-Cgt, elle, le peut et, au lendemain, des annonces gouvernementales, elle réitère des revendications portées ces derniers mois par les professionnels mobilisés : dans et hors les hôpitaux, du temps et des moyens pour accueillir et accompagner les malades ; des créations de lits et de postes, des moyens pour la psychiatrie ambulatoire et la restauration d’une formation spécifique pour les infirmiers psychiatriques.

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